Des périodes de pointe qui s'étirent sur quatre heures. Des déplacements de 32% plus lents. Une augmentation de la circulation importante au pont-tunnel L.-H.-La Fontaine. Des pertes de 594 millions par année dans le secteur manufacturier de la métropole, et de 147 millions dans le reste de la province. Et ce ne serait sans doute que la pointe de l'iceberg.

Selon une étude d'impact commandée par la Société des ponts fédéraux, l'organisme d'État qui est responsable du pont Champlain, la fermeture complète de ce pont pour une période prolongée «pourrait avoir un impact réel et tangible» sur la capacité de la région de Montréal à concurrencer avec d'autres villes sur le plan économique.

Le rapport de 69 pages, qui est daté de janvier 2011, et que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, indique que les autres ponts de la Rive-Sud, qui sont eux-mêmes déjà congestionnés, ne peuvent absorber le trafic de 145 000 véhicules par jour qui serait détourné du pont Champlain.

En raison de l'importance stratégique du pont Champlain, qui est une des principales portes de commerce du Québec avec les États-Unis, les auteurs de ce rapport concluent qu'«une réduction de la capacité de circulation, entre Montréal et la Rive-Sud, peut ralentir et réduire le nombre des déplacements, remettre en cause des décisions d'investissements et inciter des entreprises à déplacer leurs activités vers d'autres endroits».

«Dans le pire des cas, le pont Champlain pourrait ne pas être accessible pendant plusieurs années, indique l'étude. Les effets sérieux sur la congestion routière qui en résulteraient pourraient devenir un facteur décourageant des investissements futurs. Cela s'ajoute aux dommages qui pourraient être infligés aux capacités de production actuelles.»

«À long terme, affirment les auteurs dès le début de leur rapport, le pont Champlain, dans son état actuel, n'est pas viable et il devra vraisemblablement être remplacé par un autre pont ou un tunnel. Un des objectifs de cette étude est de démontrer qu'il serait préférable, sous plusieurs points de vue, de considérer un remplacement du pont Champlain au plus tôt.»

Un pont vulnérable

Cette étude a été produite par l'Institut des transports et de la logistique de l'Université McMaster, à Hamilton.

Les auteurs analysent les impacts d'une fermeture partielle ou complète du pont Champlain sur la circulation automobile, entre Montréal et la Rive-Sud, et sur la production manufacturière de 43 secteurs d'activité présents dans la région métropolitaine.

Qu'arriverait-il si on devait fermer deux voies de circulation du pont (une dans chaque direction) durant quelques semaines ou quelques mois? Ou si on devait fermer deux voies de circulation dans chaque direction?

Qu'arriverait-il, enfin, si le pont Champlain devait être complètement fermé, à la suite d'un tremblement de terre, par exemple?

Plusieurs rapports publiés au cours des derniers mois ont confirmé que le pont Champlain est en fin de vie utile et qu'il n'est pas en très bon état. Il n'a pas non plus la capacité de résister à un séisme majeur.

Or, souligne le rapport, «l'élément clé ici est que la région de Montréal est située dans une zone sismique active». La faille laurentienne où s'étend la vallée du Saint-Laurent est deuxième parmi les zones sismiques les plus sensibles du Canada, après la côte de la Colombie-Britannique.

Dans le contexte actuel, si un tremblement de terre devait rendre le pont inutilisable, «il existe une très réelle possibilité que le pont reste fermé pour une période de cinq à sept ans».

Qu'arriverait-il, alors?

Des effets surprenants

Globalement: «Les services de transports en commun entre Montréal et la Rive-Sud devraient être réorganisés. Une proportion significative des navetteurs et des véhicules commerciaux devrait modifier leurs heures de déplacement, ou changer de mode de transport», indiquent les experts du McMaster Institute.

«À long terme, une réduction de la capacité routière entre Montréal et la Rive-Sud réduirait le nombre des déplacements, entraînerait une délocalisation des activités et nuirait aux décisions d'investissements.»

Pendant la période de pointe du matin, la vitesse moyenne de circulation de l'ensemble des véhicules circulant sur la Rive-Sud entre les ponts Champlain et Jacques-Cartier chuterait sous les 15 km/h.

À titre d'illustration, le temps d'attente et de traversée du pont Victoria, où les véhicules ne circulent que dans le sens de la pointe, grimperait à 30 minutes en direction de Montréal le matin.

Les résultats les plus surprenants, dans les simulations réalisées par le McMaster Institute avec la collaboration du ministère des Transports du Québec, n'apparaissent toutefois pas dans le trafic circulant dans le sens de la pointe du matin ou du soir. C'est dans le sens contraire de la pointe qu'on observe les plus fortes augmentations des temps d'attente.

Pour sortir de Montréal en direction de la Rive-Sud, le matin, les temps d'attente augmenteraient de 32%. Un camionneur qui voudrait quitter Montréal en direction des États-Unis, pendant la période de pointe du matin, devrait compter de 35 à 40 minutes de plus pour faire ce voyage.

En fin d'après-midi, les automobilistes qui rentrent à Montréal à partir de la Rive-Sud subiraient eux aussi des temps d'attente 25% plus longs en raison de la congestion.

Selon l'étude, «la circulation à contresens de la pointe se comporterait de la même façon que la circulation dans le sens de la pointe».

En d'autres termes, il deviendrait aussi difficile de rentrer à Montréal que d'en sortir, et ce, soir et matin.

Les périodes de pointe à tous les autres ponts s'allongeraient d'une demi-heure, le matin et le soir. La période hors pointe, pendant laquelle se fait une grande majorité des déplacements de marchandises, serait raccourcie, de 9h30 à 15h, compliquant davantage la livraison de biens dans les entreprises et les commerces.

- Avec William Leclerc