Après avoir perdu ses ormes au milieu du siècle dernier, Montréal pourrait maintenant voir ses frênes disparaître. L'agrile du frêne, un insecte en provenance d'Asie capable de tuer un arbre en deux ans, a été détecté à Montréal.

Les autorités ont pour l'instant identifié quatre arbres infestés dans l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. À terme, l'ensemble des 45 000 frênes de la ville sont menacés. Puisqu'un arbre de rue sur cinq à Montréal est un frêne, c'est 20% du patrimoine arboricole de la ville qui est en danger.

L'agrile du frêne est «un petit coléoptère de 10 à 15 mm de longueur. C'est un petit insecte mais il est très destructeur. On prend ça très au sérieux», a expliqué mercredi Jacques Audette, de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

L'agrile fait des ravages considérables dans la région des Grands Lacs depuis le début des années 2000. L'Agence et la Ville de Montréal ont tenu une conférence de presse conjointe pour annoncer que l'insecte avait finalement atteint Montréal. Les autorités ont découvert un premier arbre infesté le 21 juillet et les insectes ont depuis été aperçus sur trois autres frênes.

L'Agence va mettre sur pied un programme de détection dans un rayon d'un kilomètre autour des quatre arbres afin de connaître l'ampleur de la propagation. Un plan d'action sera ensuite établi par la Ville d'ici l'automne.

Mais même en connaissant l'ampleur du problème, il sera difficile de l'enrayer. Le Michigan a été le premier État infesté par l'agrile du frêne, en 2002. Malgré les efforts des autorités, de 80 à 90% des frênes sont morts. Rien n'indique que les arbres montréalais connaîtront un sort plus réjouissant.

«Est-ce que ça pourrait être le même phénomène à Montréal? Oui. C'est inexorable, prévient Jacques Brodeur, professeur au département de biologie de l'Université de Montréal. Il faut vraiment se préparer à ce que nos forêts de frênes soient décimées. La solution, c'est de remplacer rapidement les frênes par d'autres essences forestières.»

Selon le chercheur, à moins que la population d'agrile ne soit décimée par une maladie ou que des innovations en recherche surviennent, les efforts des autorités ne serviront qu'à ralentir la progression de l'insecte. «Le frêne est un arbre caractéristique de Montréal. Un arbre sur cinq, c'est énorme. Notre environnement urbain va beaucoup changer», avertit-il.

La Ville de Montréal entend abattre certains frênes de manière préventive et les remplacer par d'autres essences. Une minorité pourrait recevoir un traitement de pesticide. «On aura une meilleure idée du plan d'action quand on aura fait le dépistage», a précisé le directeur des grands parcs à la Ville de Montréal, Denis Quirion.

Le frêne est toutefois condamné sinon à disparaître, du moins à devenir une rareté à Montréal. Depuis cinq ans déjà, la pépinière de la Ville ne produit plus l'essence jugée à risque. L'agrile a définitivement fait plonger la cote de popularité de cet arbre autrefois apprécié pour ses nombreuses qualités.

«Ce sont des arbres qui ont déjà été très populaires, car ils combattent bien la pollution, ils poussent vite et sont résistants», énumérait récemment Daniel Desjardins, chef de la division arboriculture à la Direction des grands parcs et du verdissement.

Une bête venue d'Asie

Les autorités ne sont pas en mesure d'expliquer comment la petite bestiole est parvenue à Montréal. Chose certaine, les frênes infestés sont situés près du port, où transitent des milliers de palettes de bois venues des quatre coins du monde.

Les experts soupçonnent que des palettes infestées ont permis, au début des années 2000, à l'insecte de passer de l'Asie à l'Amérique. La région de Detroit a été la première touchée, tout comme les environs de Windsor, en Ontario.

Les premiers signalements de l'agrile au Québec ont eu lieu en 2008 à Carignan et à Gatineau. L'insecte se déplace très vite, note Jacques Brodeur. «Je suis surpris qu'il ne soit pas arrivé à Montréal plus tôt», dit-il.

«On vit dans une période où on est sujets à des invasions de toutes parts, avec l'augmentation du commerce international, des déplacements des gens, on observe une croissance presque exponentielle des espèces invasives, note M. Brodeur. On vit dans une ère où on est soumis à ces invasions, l'agrile du frêne est un exemple parmi tant d'autres.»

Au milieu du siècle dernier, la maladie hollandaise de l'orme avait aussi été très dévastatrice dans la province. L'orme d'Amérique, qui marquait le paysage québécois de sa cime élégante, avait été décimé en l'espace de quelques décennies. Montréal comptait 35 000 de ces arbres et il n'en reste maintenant qu'une poignée.