Drogue, prostitution, criminalité, pauvreté, bitume... Les Habitations Jeanne-Mance, au coeur du Quartier latin, ne sont pas exactement emblématiques de la qualité de vie urbaine. Mais le gazon y verdira bientôt plus abondamment. Au total, 32 millions seront investis pour rafraîchir ce complexe de logements sociaux et, ce faisant, redonner fierté et dignité à ses résidants.

Pour Shirley Smith, emménager aux Habitations Jeanne-Mance à 55 ans, en 1999, a été un réel déshonneur. Le fond du baril. Acculée à l'aide sociale avec un fils qui commençait le cégep, elle se trouvait littéralement dans la rue.

«J'étais vraiment déprimée quand je suis arrivée ici. Ça ne m'entrait pas dans la tête, j'ai même failli refuser le logement. Je venais de descendre bien bas», confie la dame, maintenant dans la soixantaine.

Mme Smith s'est installée aux Habitations Jeanne-Mance à une époque plutôt sombre de ce complexe de logements sociaux construit en 1959. L'activité nocturne des bars de la rue Sainte-Catherine et du Quartier latin, les nombreux sans-abri et la criminalité endémique qui sévissaient dans le quartier avaient assombri l'image et la réputation du complexe.

«Au début des années 2000, on était aux prises avec plusieurs problèmes. Les abords du complexe avaient été négligés avec les années. Il y a une dizaine d'années, on s'est dit qu'il fallait changer les perceptions, pour que les gens qui habitent ici ne soient plus stigmatisés», dit Danielle Juteau, directrice de la Corporation d'habitation Jeanne-Mance.

Aujourd'hui, Mme Smith vante les mérites de son milieu de vie. «Ça m'a pris du temps à m'adapter, mais aujourd'hui, j'apprécie en tabarnouche l'appartement que j'ai!», déclare celle qui se réjouit de vivre en plein centre-ville, à proximité de deux supermarchés. «Hier, je suis restée sur un banc jusqu'à minuit à jaser avec un autre résidant. Je n'ai pas peur. Ici, il ne m'est jamais rien arrivé.»

Ce qui à l'origine était une catastrophe s'est métamorphosé en bonne affaire, ne serait-ce que sur le plan financier. Le loyer que paient les locataires des Habitations Jeanne-Mance correspond à 25% de leur revenu, une aubaine à l'issue d'une décennie où les loyers ont bondi dans la métropole.

«Si j'étais en appartement, je paierais peut-être 800, 900$», estime Mme Smith, qui se dit quotidiennement rassurée par la présence des agents de sécurité qui veillent en tout temps sur les lieux. En cas de maladie, les locataires reçoivent à domicile la visite d'une infirmière et les services de Plumeau, chiffon et compagnie pour faire leur ménage.

Alors que nous nous baladons entre les immeubles, Danielle Juteau, la directrice de la Corporation d'habitation Jeanne-Mance, ne tarit pas d'éloges sur les nombreuses améliorations apportées à ce lotissement voisin de la Grande Bibliothèque et du Quartier des spectacles. Au total, 32 millions seront injectés pour la régénérescence de ce milieu de vie que ses habitants surnomment «le Plan».

«La semaine dernière, Ricardo est venu filmer son émission dans le jardin communautaire. Il y a ici beaucoup d'Asiatiques, qui font pousser des légumes qu'il ne connaissait pas», raconte Danielle Juteau.

Art, mixité et verdure

Danielle Juteau nous montre le paysagement réalisé avec l'aide de l'Éco-quartier, les bennes à déchets peintes par de jeunes résidants, le petit marché public qui vend fruits et légumes à bon prix, les arbres fruitiers plantés il y a deux ans, à l'occasion du Jour de la Terre...

«Depuis l'été dernier, deux artistes de Philadelphie habitent ici et travaillent à quatre murales. Ils ont tissé des liens avec les autres locataires.»

Désenclaver le complexe a été le premier pas pour qu'il s'intègre mieux dans la trame urbaine et perde son aspect de ghetto. On y a ajouté de la verdure, aménagé des terrains de jeu, des axes piétonniers ainsi que des terrains de basket et de pétanque pour inviter les passants à profiter des lieux.

«De cette façon, on dit aux gens qu'ils peuvent passer du temps ici, que ce sont des espaces intéressants pour les enfants.»

Après la réfection de la plomberie, de l'électricité et du système de chauffage et le changement des fenêtres, ascenseurs, portes et groupes électrogènes, on s'attaquera prochainement à la rénovation des logements proprement dits. Les locataires pourront choisir comptoirs, armoires et couleurs comme des propriétaires.

«Cela ne coûtait pas plus cher de leur donner ce choix. On mise sur le sentiment d'appartenance que cela va créer.»

Honnies pendant tant d'années, les Habitations Jeanne-Mance seront-elles un jour convoitées? «Si oui, tant mieux. C'est ce que nous souhaitons: plus de mixité», dit Danielle Juteau, qui salue au passage un souriant monsieur asiatique qui désherbe son petit jardin.

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Le tour du monde au centre-ville

Le complexe des Habitations Jeanne-Mance s'étend sur 7,7 hectares entre les rues Ontario, Boisbriand, Sanguinet et Saint-Dominique. Il comprend 28 immeubles (5 tours d'habitation pour personnes âgées autonomes, 14 multiplex et 50 maisons en rangée) où vivent 1700 personnes (dont 500 enfants ou adolescents) originaires de 70 pays. Le revenu moyen des ménages est de 12 000$ par an. «On est passé d'une population très homogène à une population composée presque essentiellement de familles issues de l'immigration», dit Danielle Juteau, directrice de la Corporation d'habitation Jeanne-Mance.

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Le plan Dozois

Les Habitations Jeanne-Mance, une opération urbaine majeure, ont été construites à la fin des années 50 sur un terrain choisi par le conseiller municipal Paul Dozois, dans le cadre d'un programme fédéral. «Ce n'est pas anodin, si les bâtiments sont placés de façon si aérée et perpendiculaire. Les gens ont tendance à dire que les Habitations Jeanne-Mance se sont bitumées avec le temps, mais c'est le contraire», dit Danielle Juteau, directrice de la Corporation d'habitation Jeanne-Mance.