Au début des années 60, des quartiers complets ont été rasés par l'administration Drapeau. Erreur ou vision urbaine? Dans une troublante exposition qui s'ouvre la semaine prochaine, le Centre d'histoire de Montréal tente de répondre à la question.

La modernité a du bon. Mais quand il est question d'urbanisme, elle peut faire des ravages, comme en témoigne l'exposition Quartiers disparus, qui prend l'affiche cette semaine au Centre d'histoire de Montréal.

Photos, films d'archives et témoignages à l'appui, le petit musée du Vieux-Montréal raconte comment le Red Light, Goose Village (Pointe-Saint-Charles) et le Faubourg à m'lasse ont été rayés de la carte au début des années 60 pour faire place à des projets d'avenir comme les Habitations Jeanne-Mance, l'Autostade et la tour de Radio-Canada.

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Ces opérations n'ont pas seulement entraîné la démolition de 1200 immeubles, mais aussi forcé le départ de 15 000 personnes qui y avaient pris racine. Plusieurs vies ont été chamboulées.

«Ces quartiers disparus, c'est un peu notre Atlantide, résume Jean-François Leclerc, directeur du Centre d'histoire de Montréal. Dans la mémoire des gens, le Faubourg, le Red Light, Goose Village, ça flotte. Mais il n'en reste pas grand chose.»

Bien qu'elle pousse inévitablement à la nostalgie, l'exposition évite de prendre position. Avec le plus d'objectivité possible, elle cherche avant tout à comprendre et à provoquer la réflexion. Car ici, comme ailleurs, rien n'est tout à fait noir ou blanc.

Il faut savoir qu'à l'époque, ces projets n'étaient pas si mal vus. Ils participaient d'une mise en place de l'urbanisme moderne. Ce courant «visionnaire» n'a pas épargné Montréal, qui caressait de grandes ambitions sur le plan international. Avec Expo 67 qui montrait le bout du nez, la guerre aux taudis était plus justifiée que jamais. «On était dans l'euphorie. On voulait que Montréal aille droit vers la modernité», explique Catherine Charlebois, qui a piloté le projet.

Malgré tout, c'est un sentiment de tristesse qui ressort de l'exposition. En donnant la parole à d'anciens résidants, Quartiers disparus raconte aussi - et surtout - les drames humains qui ont découlé de ces projets idéalistes, souvent lancés sans l'ombre d'une consultation publique.

«Personne, à l'époque, ne s'est questionné sur l'impact de ces projets sur l'écosystème urbain, explique Jean-François Leclerc. Quand un quartier est démoli, on ne pense pas à l'impact que ça peut avoir sur la psyché, la famille, l'identité. Certains ont été bien contents de partir, mais d'autres n'ont jamais fait leur deuil», résume Jean-François Leblanc.

Une cinquantaine de personnes ont été rencontrées pour l'exposition, y compris d'anciens décideurs du service d'urbanisme. Quant aux photos parfois troublantes, elles ont été fournies par les archives de la Ville. Certaines donnent froid dans le dos. On peut y voir des gens dans leur appartement, à côté d'une grande pancarte portant le numéro du dossier de démolition de l'immeuble! D'autres clichés nous montrent des coins de rue qui n'existent carrément plus.

Sous la pression des groupes citoyens, environnementalistes et de défense du patrimoine, la Ville a progressivement modifié son approche. Elle s'est même dotée d'un plan d'urbanisme officiel en... 1992!

Mais dans un Montréal en travaux perpétuels, où l'on «condoïse», rénove et détruit parfois pour mieux reconstruire, Quartiers disparus suscite en effet la réflexion - quand ce n'est pas la perplexité.

À ce chapitre, l'exemple de Goose Village est frappant. Ce secteur du quartier populaire de Pointe-Saint-Charles avait été rasé pour faire place à l'Autostade. Or, l'Autostade a fini par être rasé à son tour. Et que reste-t-il aujourd'hui? Un stationnement et un Costco...

Quartiers disparus au Centre d'histoire de Montréal, du 15 juin 2011 au 25 mars 2012.