Sa voix de stentor ne résonnera plus. Homme de parole et de communication, Ousseynou Diop est mort le 10 février dernier, après une longue maladie rénale, à l'âge de 69 ans. Il a été inhumé au cimetière musulman de Laval.

Personnage immense, au propre comme au figuré, Diop était un pionnier du Montréal africain et sénégalais. Mais sa contribution au Québec est allée bien au-delà de sa communauté.

Figure de proue de Radio-Canada international (RCI), cofondateur du festival Vues d'Afrique et même acteur (Madame Brouette), ce chasseur, pêcheur, amateur de bonne chère et «charmeur irrésistible», a touché à tout avec un panache qui a marqué les esprits. Comme l'a dit un proche dans une rencontre organisée dimanche dernier en son honneur, «il laisse plusieurs orphelins».

Né en haute mer, le 29 août 1941, à bord d'un paquebot qui ramenait ses parents de la France au Sénégal, Ousseynou Diop a passé ses premières années en Guinée avant que la famille ne s'installe à Dakar, où il a fait ses études en pétrochimie. Mais «les hasards de la vie», comme il disait, le poussent vers la communication. Au milieu des années 60, dans l'effervescence postcoloniale, il devient animateur à Radio-Sénégal. Sous le pseudonyme de Bob Yves, il anime une émission de musique afro-américaine destinée à la jeunesse, fonde Le Caveau, première boîte jazz de Dakar, et participe en tant qu'acteur aux balbutiements du cinéma sénégalais.

Mais la vedette fait son temps. Poussé par des raisons «personnelles», Diop quitte l'Afrique pour le Québec en 1973. Engagé par Radio-Canada International (RCI) il réalise ses premiers reportages pendant la Superfrancofête à l'été 1974 en plus de produire l'album Le blé et le mil, du groupe Toubabou, première collaboration discographique entre des musiciens québécois et africains.

Son ouverture d'esprit, ses topos éclectiques et son animation sans complexe feront de lui un incontournable de RCI pendant 25 ans. Que ce soit au micro, ou plus tard comme cadre, la boîte lui doit beaucoup, croit son ancien collègue Raymond Desmarteaux. «Avant son arrivée, la chaîne était surtout centrée sur l'Europe et la guerre froide. C'est lui qui a amené RDI à s'intéresser à l'Afrique», souligne l'animateur de l'émission Tam-Tam Canada. Bête radiophonique, il «pouvait faire une émission de trois heures avec seulement trois disques, rien qu'en parlant», ajoute M. Desmarteaux, qui suggère même que l'on donne le nom de Diop aux studios de RCI.

Engagé des pieds (qu'il avait très grands) à la moustache (qu'il avait très grosse), ce «musulman de gauche» s'est battu aux premières lignes pour la survie de la station en 1991. Il a pris sa retraite en 2002. Il a aussi contribué à la fondation de l'Association des Sénégalais de Montréal et à la création de la Chambre de commerce africaine du Canada (1980), alors que la communauté ne comptait encore qu'une poignée de membres.

Mais on retiendra surtout son rôle actif dans la création du festival Vues d'Afrique - dont la 27e présentation aura d'ailleurs lieu fin avril.

Outré d'entendre Serge Losique affirmer qu'il n'y avait pas de cinéma africain, Ousseynou Diop fut un des instigateurs du festival au début des années 80. Selon Françoise Wera, qui était avec lui dans l'aventure, sa présence a carrément assuré la survie du festival à ses premières années. «C'est grâce à lui que les cinéastes africains ont appuyé Vues d'Afrique, dit-elle. Il a été la pierre angulaire qui nous a donné de la crédibilité.» Comme si ce n'était pas assez, Diop a aussi été scénariste, acteur à la télé (La p'tite vie) et au cinéma - qu'on pense à son personnage de vieux policier dans le film Madame Brouette, de Moussa Sène Absa, sorti en 2003.

Courroie d'échange et de transmission, Ousseynou Diop est de ceux qui ont «amené l'Afrique à Montréal», ajoute Mme Wera. Bâtisseur de ponts et modèle d'intégration, il a embrassé le Québec sans jamais renier son africanité, montrant ainsi la voie aux autres vagues d'immigration du Continent noir. «Il nous a fait comprendre qu'on avait notre place ici», résume la chanteuse d'origine congolaise Alby de Bara.

Mais au final, c'est l'être humain que l'on retient. Combattant «l'ignorance par le rapprochement», selon sa femme Aïssatou, Ousseynou Diop était l'homme du partage et de l'inclusion, sans égard aux nationalités. Ses fêtes mémorables et ses repas gargantuesques (généralement, le gibier qu'il avait lui-même chassé, après plusieurs jours en pleine forêt) symbolisent pour plusieurs cet être coloré et sans demi-mesure, qui recevait sans compter.

Comme l'a dit un de ses anciens collègues, «chez lui, on se sentait comme à l'hôtel... Sauf quand venait le temps de faire la vaisselle!»

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