Il y a sept mois, Ruth Kelly est arrivée de Galway, petite ville de l'Irlande de l'Ouest, avec son amoureux, Oisin, et quelques sous en poche. Toujours en quête d'un emploi, elle est déterminée à devenir infirmière dans un hôpital de Montréal.

«Ce sera long, difficile et coûteux. Je vais devoir passer des examens et apprendre le français. Mais si c'est ce qu'il faut pour vivre ici, je vais le faire», lance-t-elle sans l'ombre d'une hésitation.

Ruth, 21 ans, fait partie des milliers de personnes qui ont quitté l'Irlande à cause de la crise économique. Alors que le pays de la Guinness se débat avec des dettes faramineuses et un taux de chômage avoisinant les 15%, les perspectives d'avenir sont de plus en plus sombres pour les jeunes Irlandais instruits. La fuite des cerveaux n'est pas aussi grave qu'en 1989, quand le chômage était à 18%. Mais les 130 000 personnes qui l'ont quittée entre avril 2008 et avril 2010 font de l'Irlande le pays de l'Union européenne où l'émigration est la plus forte, loin devant la Lituanie. «Des 100 personnes de ma promotion, 60 sont parties travailler en Angleterre, confirme Ruth. Ça en dit beaucoup.»

Des pays moins touchés par la récession, comme le Canada, représentent une option de plus en plus attirante pour cette génération sans emploi. Pas étonnant que l'immigration irlandaise ait augmenté chez nous de façon constante, passant de 1118 à 3000 résidents temporaires et de 180 à 600 résidents permanents par année depuis 2001.

Montréal aussi

Pour des raisons de langue évidentes, cette nouvelle vague choisit surtout Toronto, Vancouver et Edmonton. Mais Montréal n'est pas en reste. On est loin, bien sûr, du temps où les Irlandais malades et affamés fuyaient la crise de la pomme de terre et débarquaient à Grosse-Île par bateaux entiers. Mais certains semblent avoir trouvé ici le mode de vie qu'ils ne pourraient trouver ailleurs. «C'est quasiment une tradition irlandaise de venir au Québec, dit Paul Loftus, président de la chambre de commerce Irlande-Canada, qui est aux premières loges pour assister au phénomène. Beaucoup se sentent chez eux, ici. Ils se retrouvent dans la musique, la nourriture et une certaine joie de vivre.»

Dans tous les cas, les signes ne trompent pas. Depuis deux ans, Thomas Monaher a vu le nombre de messages décupler sur sa page Facebook Irish Living in Montreal. «Avant, c'était surtout des gens qui avaient des ancêtres irlandais. Maintenant, ce sont surtout des immigrants qui veulent comprendre comment ça fonctionne ici», fait-il remarquer. La Gaelic Athletic Association a aussi vu son nombre d'inscriptions augmenter de façon remarquable, si bien qu'on a créé la première équipe montréalaise de hurling (le hockey irlandais) depuis 35 ans. «J'ai dû voir au moins 15 nouveaux visages rien que l'an dernier, confirme Ronan Corbett. Pour ceux qui débarquent, c'est une façon de rencontrer des gens et de connaître le milieu...»

Il va sans dire que les vétérans de la communauté irlandaise se réjouissent de cet afflux de sang neuf. «Si on pouvait tirer parti de cette énergie dans nos activités, ce serait une très bonne chose», dit Ken Quinn, président de la United Irish Societies of Montreal, qui organise du défilé de la Saint-Patrick.

Surmonter les obstacles

Les défis n'en restent pas moins réels pour ces jeunes immigrants en quête d'une nouvelle vie. À commencer par la langue, premier obstacle de taille. Thomas Monaher assure que la plupart sont déterminés à apprendre le français. «Plusieurs vont carrément vivre sur le Plateau pour s'intégrer plus rapidement à la société québécoise.» Mais pour certains, la réalité est parfois brutale: «Quand j'étais en Irlande, j'ai entendu parler de Montréal par deux anglos du West Island; ils ont réussi à me faire croire qu'on pouvait vivre ici sans parler français, lance Larry Green, Montréalais depuis un an et demi. Quand je suis arrivé, laisse-moi te dire que j'ai eu tout un choc!»

D'autres déchantent quand vient le temps de trouver du travail. Si les possibilités restent plus grandes à Montréal qu'à Dublin, la quête peut s'avérer longue et ardue. Beaucoup se sont casés dans la pharmaceutique, l'aérospatiale et les nouvelles technologies, mais tous n'ont pas la chance d'être au bon endroit au bon moment. C'est le cas de Martin O'Toole, informaticien qui songe à repartir pour l'Europe, où des entreprises allemandes lui font déjà de l'oeil. «Je n'avais sans doute pas les bons contacts», dit-il.

Pour faciliter le réseautage, la chambre de commerce Irlande-Canada et la Société Saint-Patrick viennent d'organiser dans un pub une soirée de rencontre entre immigrés récents et éventuels employeurs, sous l'oeil complice de la ministre de l'Immigration du Québec. Paul Loftus ne saurait dire si l'opération a porté ses fruits, mais il croit que plusieurs de ces jeunes Irlandais ont peut-être quitté prématurément leur patrie. «La firme Intel vient d'annoncer un investissement d'un demi-milliard en Irlande. Les exportations ont augmenté de 12% l'an dernier. Il y a des signes encourageants», lance M. Loftus.

Est-ce suffisant pour sonner le retour au bercail? Pas pour Larry Green, qui vient justement de commencer ses cours de français. «Le récent changement de gouvernement donne une lueur d'espoir. Mais ça va prendre du temps. Tant que rien ne bouge là-bas, pas question d'y retourner...»

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Un défilé plus sécuritaire

Le 187e défilé de la Saint-Patrick, qui aura lieu demain, sera plus modeste et mieux encadré que l'an dernier, promet Ken Quionn, président de la United Irish Societies of Montreal. Vingt-cinq chars allégoriques, soit une demi-douzaine de moins que l'an dernier, défileront de midi à 15h dans la rue Sainte-Catherine et sur le boulevard René-Lévesque à partir de la rue Du Fort. «Cette réduction vise notamment à concentrer la durée de la manifestation», explique M. Quinn. La mort accidentelle d'un spectateur, l'an dernier, a aussi forcé les organisateurs à resserrer la sécurité autour des chars, en intégrant une centaine d'agents privés au défilé. Seul du genre à n'avoir jamais connu d'interruption, le défilé montréalais de la Saint-Patrick a lieu depuis 1824, ce qui en fait le plus ancien du monde. En savoir plus: www.montrealirishparade.com