Les Québécois dits de souche affluent par dizaines de milliers dans les nouveaux lieux de culte. Dépassés par leur prolifération, les arrondissements de Montréal recevront l'aide d'un comité mis sur pied par la Ville.

Jambes croisées et mains jointes, une douzaine de Québécois scandent des chants tibétains devant un autel surchargé de dorures. Depuis trois ans, ils sont parfois près d'une centaine dans les nouveaux locaux du centre bouddhiste Rigpe Dorje. Comme au Tibet, la salle embaume l'encens, mais en l'absence du lama, c'est un éducateur en service de garde de Parc-Extension, Michel Roussel, qui guide les chants: «Om ma ni padme houng...»

«Chanter dans une langue que je ne comprends pas a quelque chose de sacré, pour moi. Et puis, ici, on rencontre des gens fabuleux qu'on n'aurait jamais rencontrés en restant pris dans sa routine», dit Judy Cutler, l'une des fondatrices du centre, lequel a déménagé pendant 30 ans avant de prendre racine à Verdun.

«Avant, on me trouvait bohème, poursuit la Montréalaise, qui a délaissé la religion juive. Maintenant, le bouddhisme intéresse même les vedettes de Hollywood! Et on en fait des films. C'est devenu grand public.»

En fait, changer de religion est aujourd'hui banal. Les Québécois dits de souche qui se convertissent se comptent déjà par dizaines de milliers et expliquent en bonne partie l'explosion du nombre de lieux de culte à Montréal et au Québec, affirme le chercheur Frédéric Castel, religiologue à l'UQAM et à l'INRS.

«On prête à tort une forte religiosité aux immigrés, alors qu'ils ne sont pas plus pratiquants que les autres», dit-il.

Au Québec, trois religions ont fait beaucoup de convertis, révèle le dernier recensement national sur la question, tenu en 2001: l'évangélisme (50 000 personnes), l'islam (3000) et le bouddhisme (1500).

«Et les conversions s'accélèrent, précise M. Castel. Il y a eu un gros boom dans les années 70. Ç'a a chuté, puis remonté avec les années 2000.»

Le phénomène est très visible en région, où les fidèles des Églises évangéliques sont essentiellement francophones québécois de souche. «Des centaines d'églises ont émergé aussi loin qu'en Abitibi et en Gaspésie. Et ça, ce n'est pas du tout connu», dit le chercheur.

Loin des grandes villes, l'exode des jeunes empêche ces Églises de prospérer autant qu'elles le voudraient, se désolent les pasteurs, qui se sont eux-mêmes convertis après avoir été chauffeur d'autobus ou membre de la marine française.

Près des grands centres, il y a toutefois un véritable essor. Rien qu'à Granby, capitale du mouvement, on compte près de 20 églises évangéliques. Les grandes églises de Trois-Rivières, de Laval, de Rosemont et de Terrebonne-Mascouche comptent chacune plusieurs centaines de fidèles et donnent naissance à quantité de satellites.

À Longueuil, les 3500 membres de l'Église Nouvelle Vie et leur organisme humanitaire occupent une ancienne usine de produits laitiers et d'anciens entrepôts. Le dimanche, on y trouve 600 enfants, dont 120 bébés, qui écoutent des histoires bibliques ou se font garder dans des salles de jeu. Sur les écrans géants de la salle de culte, le numéro attribué à tel ou tel enfant apparaît lorsque celui-ci pleure trop.

Des groupes de discussion s'adressent aux femmes, aux célibataires, aux aînés, aux adolescents, aux ex-toxicomanes, aux dépressifs...

«J'apprécie appartenir à quelque chose d'aussi organisé et l'aide qui est apportée aux défavorisés, affirme Mireille Perrochon, une fidèle de Farnham qui parcourt 120 km chaque dimanche depuis 6 ans. Mes enfants de 11 et 13 ans sont toujours contents de venir. À l'Halloween, il y avait une immense fête. C'est très dynamique.»

Dans la métropole, certains francophones préfèrent l'exotisme des églises ethniques. Sur le Plateau-Mont-Royal, l'Église évangélique latino-américaine Restauracion offre donc la traduction simultanée. Et le pasteur pense ajouter bientôt une messe en français. «Je suis entré un soir d'hiver, en entendant chanter en espagnol. C'est ma famille, maintenant», nous a confié un immense gaillard qui vient de Pierrefonds tous les dimanches.

Pourquoi?

Pourquoi se convertir? «Les catholiques sont en réaction devant un discours qui tombe à plat faute de s'être renouvelé, avance Frédéric Castel. Depuis 30 ans, il y a un tabou au Québec, dit-il. Il est impensable d'entendre une personne connue dire qu'elle est croyante à la télé. L'avouer, c'est presque sortir du placard.»

Résultat: les valeurs matérielles prennent toute la place. Or, vers 30 ou 40 ans, plusieurs Québécois ressentent un profond besoin de spiritualité, affirme M. Castel. Et ils réalisent alors qu'ils ont l'embarras du choix. «Le panorama est si varié! Certaines Églises tolèrent le divorce ou l'avortement. D'autres sont conservatrices. Chacun peut trouver ce qui lui convient.»

«Ici, les sermons du dimanche parlent de la vie quotidienne, de la réalité des gens», illustre Jocelyn Olivier, pasteur à l'Église Nouvelle Vie. Signe que ces sermons font mouche, «des gens les téléchargent ensuite sur notre site internet, dit-il, ou ils les achètent sur CD pour les réécouter dans leur voiture».

Lors de notre passage, en novembre, les fidèles étaient captivés par le pasteur Paul Houde, qui a grandi dans le quartier Saint-Michel et dont le charisme explique en grande partie le succès de l'Église. Sur scène, il amorce son sermon en partageant quelques anecdotes familiales avec l'assurance d'un humoriste.

Un de ses collègues pasteurs est psychologue à temps plein. Ce qui se reflète à la une du magazine en papier glacé que l'Église publie trois fois l'an, avec des titres comme «Comment vaincre les craintes, angoisses et phobies de la vie moderne», «Comment transformer votre mariage», «Pour ceux qui font face à l'épuisement et au burnout» ou «Pour ceux qui ont des inquiétudes face à leurs enfants».

L'islam

A priori plus austère, l'islam a aussi séduit des milliers de Québécois de souche. L'ex-animatrice de Radio-Canada Chantal Jolis en est un exemple connu. «L'islam a aussi ses attraits pour qui vit dans un monde matériel. La façon dont les membres se côtoient et s'entraident fait penser aux paroisses des années 60», explique Frédéric Castel.

«Les musulmans sont instruits et ne vivent pas dans des ghettos, ajoute-t-il. Ils sont bien intégrés dans plusieurs quartiers et au travail, alors les unions avec des Québécois de souche sont fréquentes», dit le chercheur.

Les convertis au boud-dhisme vivent plus isolément, dit-il, car ils appartiennent à trop de chapelles différentes. «Les bouddhistes sont surtout en recherche spirituelle, ils veulent atteindre la paix intérieure», expose M. Castel.

Selon lui, le moine français Matthieu Ricard ou le dalaï-lama exercent un certain attrait, mais les missionnaires étrangers jouent un plus grand rôle encore. «Il leur suffit de mettre une annonce sur les babillards des cégeps. Le bouche à oreille fait son effet.»