Marguerite d'Youville, la première sainte du Québec déménage encore, pour la septième fois depuis son décès, il y a 239 ans. Pour les Soeurs grises, qui étaient quelques-unes à avoir les yeux mouillés, ce deuil est d'autant plus personnel que le départ de leur fondatrice vers Varennes leur rappelle qu'elles devront elles aussi, d'ici 2012, se trouver un autre toit, leur maison mère ayant été vendue à l'Université Concordia.



Et ce n'est pas parce que ça fait sept fois que la première sainte du Québec déménage que ça devient un événement banal. Ce n'est rien de moins qu'un pèlerinage qu'ont organisé ces derniers jours les Soeurs de la Charité.

Marguerite d'Youville est partie de la maison mère du centre-ville, en début de semaine, dans un coffre en chêne contenant ses ossements. Mardi, les soeurs l'ont amenée à l'hôpital général où elle a beaucoup oeuvré, rue Saint-Pierre. Puis, mercredi, le cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal, a dit une grand-messe en son honneur à la basilique Notre-Dame, sur le site de l'ancienne église où elle s'est mariée, où ses enfants ont été baptisés et où, très vite, ont eu lieu les funérailles de quatre de ses enfants, morts en bas âge. À la tombée du jour, elle a été transportée à la basilique Sainte-Anne, à Varennes, village où elle est née et où elle reposera (définitivement?) non sans avoir fait d'abord un arrêt à Boucherville qu'a fondé son arrière-grand-père Pierre Boucher.

Mgr Francis Coyle, de la basilique St-Patrick, à Montréal, a rendu un hommage bien senti à Marguerite d'Youville et, dans le même temps, à toutes les Soeurs grises à qui les Irlandais de Montréal doivent beaucoup, a-t-il rappelé. «Pendant la Grande famine de 1847, alors que les bateaux n'avaient de cesse d'accoster à Pointe Saint-Charles, transportant toujours plus de personnes atteintes de la typhoïde, les Soeurs grises ont été parmi les premières à se précipiter sur les quais pour aider les malades réunis dans des hangars. Sept d'entre elles sont mortes en se portant au chevet de malades, en 1847.»

Et Mgr Coyle de les nommer toutes les sept, devant ces centaines de Soeurs grises venues de Philadelphie, de l'Ouest canadien, d'Ohio ou de Saint-Boniface à qui il a offert une bénédiction à l'irlandaise. «Que la route s'ouvre à vous, que le vent vous transporte, que le soleil réchauffe vos visages, que la pluie arrose doucement vos champs. Et jusqu'à ce qu'il nous soit donné de nous revoir, que Dieu vous tienne dans le creux de sa main.»

Au Québec, elles ne sont plus que 200 Soeurs grises encore vivantes, des Soeurs grises aux têtes très grises. Du nombre, 130 vivent à la maison mère de Montréal, qui est aujourd'hui une infirmerie et où la moyenne d'âge dépasse les 85 ans.

«Pour nous, de la voir partir, c'est un détachement. Ça veut dire que nous aussi, on devra partir bientôt», a confié soeur Nicole Fournier, secrétaire de la congrégation.

Partir pour une autre maison ou vers d'autres cieux. Bientôt, les Soeurs grises ne seront plus, mais il ne faut pas s'en faire, croit Marguerite Létourneau, venue d'Edmonton pour l'occasion. «Ce qui importe, c'est que la mission de notre fondatrice se poursuive. Sa mission appartient désormais au peuple, et il reviendra maintenant aux laïcs de la perpétuer.»

Orpheline de mère à 7 ans, Marguerite d'Youville a fait un mauvais mariage à un homme volage. Quand son mari meurt, il la laisse enceinte de son sixième enfant, qui, comme trois autres avant lui, mourra en bas âge. Ses deux enfants qui survivront se feront prêtres.

Son oeuvre commencera en 1737 alors qu'avec trois compagnes, elle fonda une maison ouverte aux gens dans la misère. Jusqu'à son décès, en 1771, elle s'occupera des pauvres et des malades. À sa béatification, en 1959, Jean XXIII en parlera comme de la «mère de la charité universelle». Elle sera déclarée sainte en 1990.

C'est pour souligner les 20 ans de sa canonisation que les Soeurs grises ont voulu déménager tout de suite ses restes plutôt que d'attendre que la dernière des religieuses ne quitte la maison mère.