C'est dans le sport, particulièrement la course à pied, que Marc Parent évacue le stress, dit-on. Celui qui va prendre les rênes du Service de police de Montréal le 13 septembre, et que certains voient comme le «Obama» de la police, usera sans doute quelques paires de running dans un proche avenir.

«Je ne voudrais pas être dans ses souliers», confiait à La Presse un jeune policier, lors de la manifestation contre les coupes budgétaires, organisée par la Fraternité des policiers, lundi dernier.

On note la même bienveillante inquiétude de la part de policiers plus anciens. Marc Parent s'apprête à relever un énorme défi, mais il a l'appui de ses troupes. Dans les hautes sphères de l'organisation, même si la lutte à la direction a été âprement disputée, sa nomination a été bien accueillie. Sur le terrain, elle a été marquée par un joyeux concert de sirènes de voitures de patrouille, et un crépitement frénétique sur les ondes radio.

«On n'avait jamais vu ça avant. Marc, c'est un gars de la base, un gars comme nous. C'est du sang bleu qui coule dans ses veines. Il y va par conviction, pas par carriérisme», assure un policier du Centre opérationnel nord, où Marc Parent a occupé les fonctions de directeur adjoint et de chef du service à la communauté ces cinq dernières années.

Le CO Nord a donc «enfanté» les deux derniers chefs du SPVM, puisque Yvan Delorme, directeur démissionnaire, était lui aussi chef du service à la communauté dans ce district, quand il a été nommé en 2005. Le CO Nord regroupe 1200 des 4600 policiers du SPVM.

De père en fils

Originaire de Québec, le nouveau directeur de 46 ans est issu d'une famille de quatre enfants, dans laquelle la musique occupait et occupe encore une grande place. Deux de ses frères sont musiciens, lui-même joue du saxophone, et ses deux fils font partie d'une grande chorale. «Mais dès sa jeunesse, c'était clair que c'était la police qui l'attirait», confie un ami de longue date, devenu lui aussi policier, mais dans une autre organisation (1). Marc Parent a donc décidé très jeune de marcher dans les traces de son père, officier à la Sûreté du Québec, à qui il a toujours voué une grande admiration.

Grand, mince, Marc Parent a toujours été un passionné de sport. Adolescent et jeune adulte, il s'est investi dans différentes disciplines, a obtenu une ceinture noire en karaté, a aussi été entraîneur à la ringuette, selon son ami des 30 dernières années. Marc Parent s'est illustré dès sa formation à l'Institut de police de Nicolet, où il a été promu avec une mention d'excellence. Entré au SPVM en 1984, il a gravi les échelons, tout en suivant des cours et des formations techniques pour parfaire ses connaissances et se spécialiser.

Il a touché brièvement aux enquêtes entre 1988 et 1990, à la section moralité et stupéfiants, avant de devenir sergent et chef d'équipe à la section GTI, mieux connue dans le public sous l'appellation de SWAT. Il y est resté pendant quatre ans. En 1994, il a été nommé lieutenant au district 44, dans Saint-Michel, alors que le poste était secoué par la retentissante affaire Richard Barnabé.

En décembre 1993, s'y prenant à plusieurs pour maîtriser ce suspect récalcitrant dans une cellule du poste 44, des policiers lui ont causé des blessures qui ont laissé M. Barnabé dans un état neurovégétatif. L'incident aux conséquences bien malheureuses a entraîné la mise en accusation des agents impliqués, et a ébranlé tout le corps de police.

«Barnabé, imaginez comment ça nous a touchés. Ça s'était passé la nuit (avec une autre équipe), nous, on rentrait le matin. On en a parlé à tous les jours pendant deux ans», se souvient un collègue de l'époque.

Outiller les policiers

Seul point positif de l'affaire Barnabé, elle a provoqué une réflexion et une révision de certaines méthodes policières. Pour M. Parent, cela s'est traduit par un intérêt encore plus soutenu et pointu pour les méthodes d'usage de la force. Cet intérêt l'a amené à créer un cours de «prise en encolure» et plus tard à mettre en place un de ses grands dossiers, intitulé «Communauté de pratique et de coaching en usage judicieux de la force.» Le programme, qui consiste à coacher les policiers en permanence sur le terrain pour les maintenir à jour dans leurs techniques, est aujourd'hui étendu à l'ensemble des postes de quartier. «C'est Marc Parent qui en est le parrain», assure un policier très engagé dans ce programme.

«Le savoir c'est le pouvoir. Marc ne garde pas le savoir pour lui, il le fait circuler. Il est aimé pour sa vision de l'avenir et sa capacité à nous y faire adhérer», ajoute ce même policier, qui préfère ne pas être nommé.

«Outiller ses policiers est très important pour lui», assure un autre policier, qui refuse lui aussi d'être identifié. «Il vient du SWAT où on intervient dans les situations d'urgence avec un niveau de stress à son maximum. Quand il parle de «zone grise» avec les gars, il vient les chercher, il sait de quoi il parle.» La «zone grise» est ce moment déstabilisant, voire affolant, où le policier perd ses repères lors d'une intervention qui ne se déroule pas nécessairement comme prévu. Le policier réagit en puisant dans son propre système de valeurs. La réaction va de l'usage du verbal, à celle de l'arme à feu.

Ce policier relève aussi le sens de l'éthique de Marc Parent. «Il agit en père de famille, mais pas juste avec ses hommes. Au SWAT, une fois le suspect arrêté, il était le premier à aller le couvrir avec un manteau, et lui parler pour l'apaiser.» Marc Parent aime bien cette citation de Blaise Pascal, paraît-il: «La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.»

Gestion et profil bas

Outre son intérêt pour la réalité du terrain, Marc Parent a acquis un solide bagage en matière de relations avec la communauté, ainsi qu'en administration et en gestion, dit-on. Il a une maîtrise en administration publique. Il a sa propre vision du service, et envisage des changements. «Le Comité de sélection a dû être très impressionné par son exposé», croit un policier qui le connaît bien.

«Il a déposé son plan organisationnel. On disait qu'il n'avait pas d'équipe, mais il a tout son réseau. Il faut se méfier de l'eau qui dort», indique pour sa part Anie Samson, mairesse de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, secteur couvert par le CO Nord. Elle est emballée par ce que M. Parent a réalisé dans son arrondissement, par ses idées, son approche avec les communautés culturelles et les jeunes. «J'ai vu à petite échelle ce qu'il est capable de faire. C'est un homme vrai, ordonné, très rigoureux, respecté, et d'une grande humilité. Il donne de la latitude à ses policiers. Très souvent, il est derrière la parade, mais on sait qu'il l'a planifiée», note Mme Samson.

Guy Ryan, retraité depuis quelques années du SPVM, a beaucoup côtoyé Marc Parent. «On a été nommés commandants en même temps (en 1997). On faisait du vélo. On a fait des certificats, on voyageait ensemble pour aller à l'université. Lui il a continué, il a fait une maîtrise. C'est un gars très calme, intelligent et sérieux. Il aime travailler en équipe. Il a toujours été dans l'action», dit M. Ryan.

Certains croient que le côté low profile de Marc Parent pourrait lui nuire. M. Ryan n'est pas de cet avis. «Il accomplit la besogne, mais ne va pas se pavaner», résume-t-il. Il convient cependant que le nouveau directeur peut paraître effacé si on le compare à certains de ses prédécesseurs, par exemple, Jacques Duchesneau.

«Si ça va bien, ce sont ses commandants qu'on va voir. C'est le politique qui va sortir. Mais si ça va mal, c'est lui qui va sortir. Il va aller sur le terrain. Si un policier est dans l'erreur, il va s'en occuper pas à peu près», soutient un policier de sa garde rapprochée.

Le nouveau chef a de nombreux appuis et des fidèles inconditionnels. C'est bien. Mais il doit bien y avoir aussi quelque part des gens plus sceptiques, voire des détracteurs. On ne peut pas plaire à tout le monde. Le nouveau directeur devra jongler avec des budgets qui rétrécissent, ce qui alimente de manière inversement proportionnelle la grogne du puissant syndicat policier.

«La Frat lui met la barre extrêmement haut. Elle a une job à faire. Mais il va vivre avec les restrictions budgétaires. Il ne pellettera pas de nuages», poursuit le policier, avant de tempérer: «Marc n'est pas parfait. Il va faire des erreurs. Je le vois un peu comme Obama.»

Voilà un bien gros contrat pour Marc Parent. Mais comme on dit, il faut laisser la chance au coureur.

(1) Marc Parent ne peut s'adresser aux médias avant sa nomination officielle du 13 septembre, a décrété le Service des communications du SPVM. La plupart des policiers avec qui La Presse s'est entretenue pour tracer ce portrait du nouveau directeur ne voulaient pas être identifiés.