«Comment la police de Montréal a-t-elle pu cacher qu'elle avait en main une telle étude? Comment se fait-il que, malgré cela, elle continue de nier que le profilage racial existe?»

Le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), Gaétan Cousineau, a vivement réagi hier en apprenant que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a passé sous silence les conclusions d'une étude interne sur le profilage racial.

Hier, La Presse a révélé l'existence d'un rapport qui dresse un portrait «alarmant» du profilage des personnes noires à Montréal. L'étude, qui porte la mention «brouillon», a été réalisée par un criminologue à l'embauche du SPVM. La police de Montréal n'a jamais autorisé sa publication, invoquant le fait qu'elle comporte «d'importants biais méthodologiques».

Le rapport révèle que, de 2001 à 2007, les contrôles d'identité des Noirs ont augmenté de 126% à Montréal-Nord et de 91% à Saint-Michel, alors que ceux des Blancs sont restés stables.

Le but de l'étude était de mieux cerner les «causes probables» de l'émeute survenue au lendemain de la mort de Fredy Villanueva, abattu par un policier dans un parc de Montréal-Nord en août 2008. Selon certaines recherches, la hausse des interpellations de jeunes Noirs peut contribuer au déclenchement d'émeutes. Or, deux mois avant l'émeute, le SPVM a mis sur pied Éclipse, une escouade mobile chargée de lutter contre les gangs de rue.

Le rapport est daté de mars 2009. Pourtant, en juin dernier, le SPVM n'en a pas fait mention pendant les audiences de la CDPDJ sur le profilage racial. L'assistant-directeur Denis Desroches, qui a défendu la position de la police, a déclaré que le profilage n'était pas un problème systémique, mais plutôt attribuable au savoir-être des policiers. Il était alors au courant des conclusions de l'étude, a confirmé le SPVM.

Gaétan Cousineau s'inquiète que la police ne semble pas avoir donné suite au rapport. Le directeur adjoint Jean-Francois Pelletier, qui dirige l'équipe ayant produit la recherche, a indiqué que le document n'a jamais été transmis au comité de direction du SPVM.

«L'étude a peut-être des biais, mais elle est tellement criante d'informations qu'on ne pouvait pas l'ignorer», a dit Gaétan Cousineau, qui se dit «énormément désappointé» par «l'attitude de négation» du SPVM. «La police de Montréal doit ouvrir les yeux et admettre que le profilage racial existe, a-t-il poursuivi. Sinon, elle ne posera jamais les gestes pour faire autrement.»

L'opposition veut une copie

Le SPVM a également essuyé les critiques de l'opposition, hier. Le maire de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Réal Ménard, déplore que le rapport n'ait jamais été présenté aux élus.

«Si le SPVM a donné le mandat à un de ses employés de faire une étude sur un sujet aussi sensible, les élus auraient dû l'obtenir, aussi imparfaite soit-elle», a déclaré M. Ménard, qui fait partie de Vision Montréal, le parti de Louise Harel.

Réal Ménard, qui est vice-président de la Commission de la sécurité publique, entend demander au SPVM que tous les élus reçoivent une copie du rapport lors de la prochaine réunion de la Commission.

«Le SPVM semble vouloir exagérément relativiser les conclusions de l'étude, a dit M. Ménard, Il y a eu une logique de déni du profilage racial, on minimise le problème.»

Le SPVM se défend encore

Le SPVM a vivement défendu hier son plan d'action pour lutter contre le profilage racial. L'assistant-directeur Jean-François Pelletier a rappelé qu'en 2004, le SPVM s'est doté d'un politique pour interdire cette pratique. Tous les policiers doivent suivre une formation d'un jour sur le profilage. De plus, le SPVM prépare actuellement un nouveau plan d'action triennal en la matière.

M. Pelletier a nié avoir voulu cacher l'étude de son criminologue, qui a selon lui «alimenté les discussions» à l'interne. Il admet cependant le SPVM a cessé d'analyser les fiches d'interpellations après la publication du rapport.

Pourtant, à la fin de son étude, l'auteur recommande de poursuivre la recherche en analysant les fiches d'interpellations qui ont été remplies dans les mois précédant l'émeute, ce qui aurait permis de saisir l'impact de l'escouade Éclipse, qui a été vivement critiquée à la suite des évènements de Montréal-Nord.