Le profilage ethnique existe bel et bien au SPVM. Dans les quartiers sensibles du nord de la métropole, la proportion de personnes noires interpellées est même «alarmante», conclut un rapport interne de la police de Montréal qu'a obtenu La Presse. La direction du SPVM remet en cause la méthodologie de son chercheur.

De 2001 à 2007, les contrôles d'identité de personnes noires ont augmenté de 126% à Montréal-Nord et de 91% à Saint-Michel, selon un rapport interne de la police de Montréal. Deux Noirs interpellés sur trois ne sont pas liés aux gangs de rue.

Alors qu'on soulignait hier le deuxième anniversaire de la mort de Fredy Villanueva, La Presse a obtenu un document qui dresse un portrait «alarmant» du profilage racial au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Le rapport révèle que, dans les quartiers sensibles du nord de la métropole, environ 40% des jeunes hommes noirs ont été soumis à au moins un contrôle d'identité en 2006 et en 2007, contre seulement 5% à 6% des Blancs.

Une proportion «beaucoup trop élevée», conclut l'auteur de l'étude, Mathieu Charest, criminologue qui travaille pour la police de Montréal depuis 2006. «Le SPVM devrait se donner comme objectif de revenir à un niveau acceptable de 10 à 15% et se doter d'outils permettant de mieux cibler les individus et éviter les "expéditions de pêche"», écrit-il.

Le rapport de 11 pages, qui date de mars 2009, a été produit dans la foulée des émeutes qui ont enflammé Montréal-Nord au lendemain de la mort de Fredy Villanueva, ce jeune homme de 18 ans abattu par un policier au mois d'août 2008. Le document, qui porte la mention «brouillon», n'a jamais été publié.

Son ton clair et percutant contraste avec la position officielle que le SPVM a défendue en juin lors des audiences de la Commission des droits de la personne. Sans nier l'existence du problème, le directeur adjoint Denis Desroches avait déclaré que le profilage n'était pas «systémique», mais plutôt attribuable au «savoir-être» des policiers.

Le SPVM a maintenu cette position, hier. Selon le le directeur adjoint Jean-François Pelletier, le rapport «ne reflète par la réalité», puisqu'il comporte des «biais énormes» sur le plan méthodologique.

Hausse des contrôles

Dans le cadre de sa recherche, le criminologue Mathieu Charest a analysé 163 630 fiches d'interpellation remplies par les patrouilleurs du SPVM de 2001 à 2007.

Premier constat: le nombre de personnes interpellées a augmenté de 60% de 2001 à 2007. Selon l'auteur, cette hausse est en partie attribuable au déploiement d'Avance et Éclipse, deux escouades destinées à lutter contre les gangs de rue (voir encadré).

L'augmentation des contrôles d'identité touche principalement les personnes d'origine haïtienne, jamaïcaine ou africaine, peut-on lire dans le rapport. Le nombre de Noirs interpellés a triplé de 2001 à 2007, passant de 3565 à 9630. Les Blancs, les hispaniques et les membres d'autres groupes ethniques ne sont pas plus interpellés qu'avant.

Montréal-Nord est l'arrondissement qui a subi la plus forte hausse des contrôles d'identité, selon les résultats de la recherche. En 2006-2007, pas moins de 38% des jeunes Noirs ont été interpellés au moins une fois, contre 6% des Blancs.

«Autrement dit, dans une salle contenant 100 jeunes Noirs et 100 Blancs de Montréal-Nord, 38 Noirs auraient été interpellés (au moins une fois) contre seulement 6 Blancs», peut-on lire dans le rapport.

Dans le quartier Saint-Michel, la proportion de jeunes Noirs soumis à des contrôles d'identité est également élevée: 41% des Noirs ont été interpellés, contre seulement 5% des Blancs.

Interpellations injustifiées

Ces proportions sont «alarmantes», écrit l'auteur du rapport, Mathieu Charest. «Il devient nécessaire de se demander si la contribution des communautés noires au volume de crimes (10% à 20%) justifie la mise en place d'une politique implicite de contrôles de masse», écrit-il.

«Cette question est d'autant plus importante qu'une vaste part de ces contrôles ne débouchent pas sur la découverte d'une infraction, n'arrivent pas à cibler les membres ou les sympathisants des gangs de rue et deviennent par conséquent difficilement justifiables», poursuit-il.

Deux Noirs interpellés sur trois ne sont pas liés «ni de près ni de loin» aux gangs de rue, apprend-on dans le rapport. Et dans 40% des cas, les personnes visées ne sont pas liées au monde criminel, n'ont pas été arrêtées récemment et n'ont pas reçu de constat d'infraction après avoir été interpellées.

Les patrouilleurs invoquent des raisons «beaucoup plus subjectives» lorsqu'ils interpellent des Noirs: deux fois sur trois, les motifs sont «vagues» (enquêtes de routine et sujets d'intérêt), a conclu l'auteur en analysant un échantillon de 200 fiches d'interpellation également réparties entre Blancs et Noirs. Dans le cas des Blancs, la proportion chute à un tiers.

Le criminologue Mathieu Charest émet des recommandations pour pallier le profilage ethnique. Il propose au SPVM d'adopter une «politique explicite» sur le sujet et de mettre en place des indicateurs permettant de suivre l'évolution des pratiques policières à l'égard des communautés culturelles.

Le SPVM rejette la méthodologie

Le directeur adjoint Jean-François Pelletier, qui dirige l'équipe ayant produit le rapport, a remis en cause hier la méthodologie utilisée pour réaliser la recherche. «Je ne suis pas à l'aise avec les chiffres, a-t-il dit. Pas parce qu'ils sont effrayants, mais parce qu'ils sont erronés.»

D'abord, il affirme que l'échantillon n'est «pas représentatif». Le chercheur a compilé les fiches d'interpellation pour obtenir ses statistiques. Or, les policiers les remplissent dans 5% à 10% des interpellations, selon les données du rapport.

Selon Jean-François Pelletier, on ne peut comparer le nombre de contrôles d'identité à la population totale, puisque les gens qui sont interpellés par les policiers ne résident pas nécessairement dans le quartier, dit-il.

Le directeur adjoint Pelletier a tenu à préciser le contexte dans lequel il a demandé le rapport au criminologue: «Je lui ai dit: "Mets-nous au défi sur nos pratiques d'interpellation, a dit M. Pelletier. Et c'est exactement ce que Mathieu a fait, avec le style qui lui est propre.»

Après avoir pris connaissance du document, Jean-François Pelletier affirme qu'il a lui-même décidé de le «mettre sur la glace» en attendant de trouver une meilleure méthodologie. «J'ai mis des bémols à tout le monde à l'interne, y compris à Denis Desroches, de ne pas utiliser ces données-là», a dit M. Pelletier, qui affirme que le document n'a jamais été présenté au comité de direction du SPVM.