Mécontente de n'avoir pu participer à l'appel d'offres des compteurs d'eau, la firme Master Meter Canada estime que la Ville de Montréal a dénaturé le processus normal d'attribution des contrats. Elle s'appuie sur un avis juridique qui soutient que la Ville, par ailleurs, n'a pas agi pour obtenir le meilleur prix.

Master Meter Canada a demandé au cabinet d'avocats Bélanger Sauvé de vérifier la légalité du processus menant à l'attribution du contrat sur l'implantation de compteurs d'eau dans les industries, les commerces et les institutions de la métropole. Dans son avis juridique, qui sera remis au vérificateur général de la Ville qui enquête sur l'attribution de ce contrat, Me Marc Laperrière dit que la décision d'implanter des compteurs d'eau a été prise après qu'une étude intitulée «Parc de compteurs d'eau et coût d'investissement pour l'utilisation de compteurs d'eau à la Ville de Montréal» eut été publiée en 2003 par la firme PricewaterhouseCoopers. Master Meter Canada était coauteur de cette étude.

En 2004, la Ville a lancé un appel d'offres pour l'exécution de services professionnels pour la mesure de la consommation d'eau dans les entreprises et les institutions. Puis, elle a lancé un appel de qualification pour retenir parmi les candidats ceux qui avaient démontré une expertise dans le domaine de la consommation d'eau. Finalement, elle a lancé un appel de propositions auprès des candidats préqualifiés, leur demandant de proposer un scénario sur la mesure de la consommation d'eau et... l'optimisation de la distribution d'eau.

C'est ce volet optimisation qui pose problème, selon le cabinet d'avocats. Dans le document d'octobre 2004 intitulé «Appel d'offres sur invitation», nulle part ne figure le terme «optimisation». «La Ville a accepté la proposition de BPR sans retourner en appel d'offres pour ce volet, lit-on dans l'avis juridique de Bélanger Sauvé. Ceci est, selon nous, de nature à entacher la légalité du contrat octroyé à BPR s'il s'avère que cet ajout au contrat est important. Plus cet ajout est important, plus la Ville pourra être taxée d'avoir rompu la règle de l'égalité entre les soumissionnaires qui veut que tous soient soumis aux mêmes exigences.»

Un avis important

Or, l'avis juridique indique que le volet optimisation du réseau représente 250 millions de dollars sur les 350 millions du contrat attribué à GéniEau : «Il est donc plus que probable que l'ajout de ce volet au contrat de BPR est important, y lit-on. Si tel est le cas, la Ville devait, selon nous, retourner en soumissions publiques sur ce point.»

«Est-ce que la Ville s'est assurée d'avoir le meilleur prix ? demande Me Laperrière. Je crois qu'elle n'a pas respecté l'objectif des soumissions publiques. Quelle témérité de permettre à BPR d'ajouter cela à son contrat alors qu'il y a peut-être d'autres soumissionnaires qui auraient dit : "Si j'avais su qu'on pouvait soumissionner sur l'optimisation du réseau, je l'aurais fait, alors vous n'avez pas été juste à mon égard'." Ça, c'est plus inquiétant en ce qui a trait à la légalité.»

Par l'intermédiaire de son porte-parole Philippe Sabourin, la Ville estime que le document «Appel d'offres sur invitation» contient un passage à la section 1.3 qui revient à évoquer le volet optimisation : «Également, la firme pourra être appelé (sic) à réaliser d'autres travaux additionnels requis par la Ville et reliés au bilan de consommation de l'eau, comme la mise à niveau des compteurs existants, des études de profils de consommation, le monitoring de la distribution d'eau, les compteurs sur le réseau d'aqueduc, la compilation de données hydrauliques, l'élaboration d'une politique de consommation d'eau, etc.»

Selon Me Laperrière, ce paragraphe ne permettait pas à la Ville de confier l'optimisation du réseau à BPR sans retourner en appel d'offres.

«Il est difficile pour les soumissionnaires de savoir quels seront les travaux à réaliser s'ils ne sont pas encore déterminés, écrit-il dans un courriel envoyé à La Presse. De plus, cela laisse entendre que ces travaux seront accessoires ou mineurs puisque la Ville se réserve le droit de les confier sans recourir au processus d'appel d'offres. Je ne crois pas que cette clause puisse permettre à la Ville de dire que le principe de l'égalité des soumissionnaires a été respecté. La Ville s'est simplement réservé un droit sans aucune précision autre que celui de préciser la nature des travaux qu'elle pourrait demander ! Doit-on conclure que la Ville fonctionne en PPP, la seule façon de négocier directement avec une entreprise... alors qu'elle n'a pas ce pouvoir ? Selon moi, la porte de la section 1.3 est petite alors que celle ouverte par la Ville et BPR est énorme !»

Me Laperrière pense que la Ville a erré si elle a fonctionné en PPP. «Depuis le début, tout le monde dit que la Ville doit sûrement fonctionner en partenariat public-privé, c'est donc pour ça qu'elle se réserve le droit de négocier avec le soumissionnaire choisi, mais la Ville n'a pas le pouvoir d'utiliser le processus d'adjudication en PPP, dit-il. Elle peut conclure des PPP mais pour le faire, elle doit suivre les règles d'adjudication de la Loi sur les cités et villes et doit choisir le plus bas soumissionnaire. Négocier avec le soumissionnaire choisi, encore là, c'est jouer avec le feu et plus les modifications sont importantes, plus on se rapproche de l'illégalité ou encore plus on confirme l'illégalité.»

L'avis reproche également à la Ville d'avoir changé son fusil d'épaule en ce qui a trait aux technologies qu'elle retiendrait. L'appel d'offres de 2004 précisait que la Ville désirait «les produits génériques et commercialement disponibles plutôt que des solutions sur mesure». Mais en 2007, l'appel de propositions énonce que la Ville privilégie «l'expérimentation de nouveaux concepts et matériaux et de nouvelles techniques».

«La Ville joue dangereusement avec le feu, dit Me Laperrière. En allant vers l'expérimentation, on se trouve à avoir des soumissions totalement différentes les unes des autres. S'assure-t-on du meilleur prix ? Si j'étais avocat et que j'avais à rédiger l'appel de propositions et la soumission pour les services professionnels, je serais un peu nerveux. Je n'aurais pas suivi un tel processus. C'est ouvrir toute grande la cour d'école et laisser les enfants jouer dehors.»