Il faudra plus d'un quart de million de camions pour acheminer les principaux matériaux nécessaires à la construction des quatre nouveaux échangeurs du complexe Turcot, dans le sud-ouest de Montréal.

Le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) reprend ce soir ses consultations sur ce projet de 1,5 milliard de dollars qui, pendant sept ans, transformera une grande partie du sud-ouest de Montréal en vaste chantier de construction.

L'ampleur du chantier projeté inquiète déjà les autorités municipales et des organismes de santé publique, qui craignent une forte détérioration de la qualité de vie des résidants en raison du bruit, de la pollution et de la poussière qui seront produits par les travaux.

Dans le mémoire qu'il présentera ce soir au BAPE, le Centre de santé et de services sociaux (CSS) Sud-Ouest Verdun recommandera à la commission d'examiner plus attentivement les impacts sociosanitaires d'un chantier de cette envergure sur les populations locales.

En 2016, s'il n'en tient qu'au ministère des Transports du Québec (MTQ), les grandes bretelles de béton qui surplombent le décor du Sud-Ouest seront choses du passé. Les voies qui relient les autoroutes A-15, A-20 et A-720 seront réaménagées sur des remblais plus près du sol.

L'environnement autour de l'échangeur sera reverdi. La qualité de l'air devrait s'améliorer malgré la légère croissance du trafic, qui dépassera, en 2016, la barre des 300 000 véhicules par jour. Et avec la mise en place de mesures d'atténuation (murs antibruit, écrans végétaux), le «climat sonore» diminuera de quelques décibels dans l'ensemble des secteurs limitrophes de l'échangeur, selon les études déposées par le MTQ en première partie des audiences du BAPE.

,b >La moitié d'un Stade olympique

Pour réaliser ce projet, il faudra transporter environ un million de mètres cubes de matériaux divers, soit de quoi remplir la moitié du Stade olympique, de l'ancienne gare de triage Turcot aux chantiers de construction des remblais.

Selon un document publié par le MTQ dans le cadre des consultations du BAPE, la construction des remblais et des routes nécessitera 253 800 déplacements de camions en cinq ans.

Ces camions parcourront plus de sept millions de kilomètres entre les chantiers et les lieux de collecte ou de dépôt de leur chargement de terre, de béton ou d'asphalte.

Par la suite, la démolition des actuelles structures de l'échangeur Turcot exigea 25 000 voyages de camions de plus, dans les deux dernières années du projet.

Les travaux s'étendront de Montréal-Ouest jusqu'à Westmount, aux portes du centre-ville, et du sud du canal de Lachine, aux limites de Verdun, jusqu'en haut de la falaise Saint-Jacques, où sera construit l'hôpital universitaire de McGill.

Rejet global

Selon Madeleine Breton, directrice du développement des programmes de la santé publique et des partenariats, le CSS Sud-Ouest-Verdun offre depuis des mois un soutien psychologique à certaines personnes affectées par la possibilité d'une expropriation ou par l'imminence d'un chantier de construction majeur dans leur voisinage immédiat.

«En tant qu'organisme de santé, affirme Mme Breton, nous proposons au MTQ et aux arrondissements de jouer un rôle actif de suivi et de liaison entre la population et les autorités responsables des travaux, afin de réduire les tensions qui pourraient naître du projet.»

«Mais globalement, intervient Marie Thériault, organisatrice communautaire au CSS, nous préférons mettre l'accent sur le projet lui-même plutôt que sur ses chantiers. Car le point central de notre mémoire, c'est de réclamer un autre projet que celui qui est proposé par le MTQ. Un projet qui ne sera pas centré sur l'usage exclusif de l'automobile, qui favorisera la mobilité entre les quartiers, le transport actif et l'utilisation des transports en commun.»

Le projet du MTQ est massivement rejeté dans le sud-ouest de Montréal. Au cours des prochains jours, des dizaines de simples citoyens et d'organismes du milieu communautaire défileront devant le BAPE pour réclamer son abandon pur et simple.

Sans se prononcer sur le projet lui-même, le directeur de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l'arrondissement du Sud-Ouest, Normand Proulx, craint pour sa part que les automobilistes ne cherchent à contourner les zones de travaux ou les bouchons de circulation en empruntant le réseau local.

La fermeture récente d'une sortie de l'autoroute Ville-Marie, dit M. Proulx, pousse déjà des milliers d'automobilistes à traverser le quartier par la rue Rose-de-Lima et à congestionner la circulation locale.

«Pour les gens qui habitent l'arrondissement, il y a la crainte de ne plus être capable de se déplacer normalement dans des conditions raisonnables à cause des débordements du trafic. Cela contribue aussi au sentiment d'être isolé par des travaux qui vont prendre beaucoup de place.»

Le chantier en décibels

Autour des zones de travaux de l'échangeur Turcot, le bruit ambiant autorisé pourrait dépasser 75 décibels (dBA) pendant la journée à proximité des secteurs résidentiels, selon les normes généralement imposées aux entrepreneurs par le ministère des Transport du Québec.

La nuit, le bruit des chantiers sera limité à un maximum de 5 décibels au-dessus du bruit ambiant normal de chaque secteur, jusqu'à un maximum de 70 décibels à proximité des zones résidentielles. Une augmentation de 3 décibels, sur l'échelle des niveaux sonores, représente un bruit deux fois plus intense. Les niveaux sonores s'échelonnent en effet de 0 à 140 dBA. La zone d'inconfort commence à environ 70 dBA (lave-vaisselle ou sèche-cheveux). À 80-85 dBA (aspirateur, camion diesel ou camion roulant à 50 km/h), la conversation et l'apprentissage deviennent difficiles. À 140 dBA (proximité d'un avion à réaction), les traumatismes pour l'oreille humaine sont irréversibles.

Le MTQ a déjà assuré qu'il mettra à la disposition des citoyens une ligne téléphonique où, 24 heures sur 24, ils pourront signaler les problèmes de pollution, de poussière ou de bruit excessif pendant les travaux. Les plaintes seront acheminées directement aux surveillants de chantier, et chaque plaignant sera informé des vérifications faites et des mesures prises, le cas échéant.