Les relations entre Dessau et la Ville de Montréal se retrouvent encore une fois à l'avant-scène. La Presse a appris que le vice-président de la firme d'ingénierie a siégé comme membre indépendant au comité de vérification de la Ville. Au même moment, on rapportait qu'un contrat de 32 millions a été accordé à une filiale de la société dans Saint-Léonard, alors que Frank Zampino en était encore le maire.

Jusqu'en septembre dernier, le comité de vérification de la Ville de Montréal, qui analyse de l'information financière stratégique, comptait parmi ses membres Jacques Fortin, vice-président de Dessau, une firme d'ingénierie qui a des centaines de mandats et de nombreux contrats de la Ville, a appris La Presse.

 

Selon sa Charte, «le comité de vérification est l'intermédiaire entre les vérificateurs externe et général et le conseil (municipal) et ceux-ci lui font rapport directement en ce qui a trait à la vérification des états financiers de la Ville». Le comité «prend connaissance des mandats confiés au vérificateur général par le conseil».

Il «étudie pour le bénéfice du conseil municipal les déclarations de la direction (de la Ville) concernant la présentation de l'information financière, les risques d'erreur et de fraude», etc.

M. Fortin, ancien directeur général de la Société de transport de Montréal, a été nommé au comité de vérification de la Ville en 2003 à titre de membre indépendant. En 2005, il a avisé le comité du fait qu'il avait été nommé vice-président de Dessau, en soulignant que sa compagnie pourrait être appelée à participer à la transformation de la rue Notre-Dame en boulevard urbain et à rendre des services de consultation. Or, la charte du comité de vérification, qui venait d'être adoptée, stipulait ceci:

«Un membre du comité de vérification est indépendant s'il n'a pas de relation importante, directe ou indirecte, avec la Ville. Une relation importante s'entend d'une relation qui, de l'avis du conseil municipal, pourrait raisonnablement entraver l'exercice du jugement indépendant d'un membre du comité.»

Dans une lettre envoyée en septembre 2005 au président du comité de vérification, André Harel, le vérificateur général de la Ville, Michel Doyon, qui agissait à titre de secrétaire du comité, a conclu que le type de services rendus par Dessau à la Ville de Montréal ne compromettait pas l'indépendance de M. Fortin. «En conséquence, M. Fortin demeure indépendant de la Ville, conformément à (la) charte (du comité)», a-t-il écrit.

Mais en 2007, M. Fortin a signé lui-même un contrat de services professionnels avec la Ville, au nom de Dessau (alors nommé Dessau-Soprin), pour la préparation de plans et devis ainsi que pour la surveillance de travaux de réfection de ponts, tunnels et viaducs. Malgré cela, il a continué à siéger comme membre indépendant du comité de vérification. Ce contrat ne venait-il pas compromettre son indépendance?

«Cet appel d'offres, je l'ai signé parce que, selon les standards de Dessau, c'est moi qui devais signer, a dit M. Fortin, joint par téléphone à Paris. Mais je ne suis même pas au courant de ce dossier-là. Si vous me demandiez quels dossiers on a avec la Ville, je serais incapable de vous le dire.»

Depuis 2002, la Ville de Montréal, ses arrondissements et ses sociétés ont confié près de 1000 mandats professionnels à Dessau. Certains mandats sont très petits, d'une valeur à peine supérieure à 200$; d'autres sont très importants et dépassent le million de dollars.

Dessau a aussi obtenu de très gros contrats, comme celui du Centre intergénérationnel d'Outremont, qui fait l'objet d'une enquête policière, et le contrat des compteurs d'eau et de l'optimisation du réseau d'eau, d'une valeur de 355 millions de dollars, qui fait l'objet d'une enquête du vérificateur général depuis un mois.

En consortium avec SNC, Dessau a aussi obtenu un contrat pour la mise à niveau des usines de filtration d'eau. La firme a également piloté un important projet de mise à niveau des équipements à la Société de transport de Montréal. Mais M. Fortin est catégorique: «Au comité de vérification (de la Ville), on ne parle jamais, jamais de dossiers comme ça.» Les contrats ne sont pas discutés dans ce comité, souligne-t-il.

Malgré tout, M. Fortin estime qu'il se trouvait dans une position délicate. C'est une des raisons pour lesquelles il a quitté le comité un an avant la fin de son mandat, précise-t-il. «Ça me rendait mal à l'aise de continuer à siéger au conseil, a-t-il confié. C'est le genre de choses qui ne nous aide absolument pas. C'est bien plus susceptible de nous nuire... Je siégeais au comité parce que je connaissais bien le fonctionnement du système municipal. J'attendais la première occasion pour partir. Elle s'est présentée quand le comité a été élargi, l'automne dernier.»

Le porte-parole de la Ville de Montréal, Philippe Sabourin, a demandé un avis juridique lorsque La Presse lui a posé des questions sur la présence du vice-président de Dessau au comité de vérification. Quand il a obtenu l'avis, il a indiqué que le conseil municipal avait entériné à l'unanimité la nomination de M. Fortin en 2003 et le renouvellement de son mandat en 2006.

«Le conseil est souverain, a-t-il dit, et il a jugé que M. Fortin pouvait siéger au comité comme membre indépendant.» M. Sabourin a toutefois reconnu que le conseil n'avait jamais été informé du fait que M. Fortin était vice-président de Dessau. Outre M. Fortin et le président, André Harel, le comité comprenait à cette époque Frank Zampino, Sammy Forcillo et Bertrand Ward, tous les trois membres du comité exécutif de la Ville.