L'ombudsman de la Ville de Montréal, Johanne Savard, a «beaucoup de réserves» et se dit «énormément préoccupée» par la ligne antifraude annoncée il y a 10 jours par le maire Gérald Tremblay.

«Il faut faire très attention de ne pas faire la promotion d'une culture de suspicion et de délation : ça nuit beaucoup à la qualité du milieu du travail, a déclaré Mme Savard en conférence de presse à l'hôtel de ville, hier matin. Ce qui m'inquiète aussi avec des lignes de délation, c'est le risque de dénonciation malicieuse. Je serais très inquiète d'une ligne anonyme ou secrète.» L'ombudsman, qui précise avoir une longue expérience des relations de travail avant son arrivée à la Ville, se dit également inquiète de la confidentialité des informations qui pourraient être obtenues grâce à cette ligne de dénonciation. Tant le dénonciateur que la personne accusée doivent être protégés, estime-t-elle. «Si on accuse quelqu'un et qu'en fin de compte, ce n'est pas fondé, il ne faut pas avoir détruit sa réputation en cours de route. Il y a beaucoup de questions et d'irritants dans un tel projet.»

Mme Savard croit que les récentes controverses qui ont éclaboussé l'hôtel de ville montrent que les mécanismes en place ont bien fonctionné. «Si on l'a trouvée, la fraude à l'informatique, si on lit tout ce qu'on lit dans les journaux, c'est qu'il y en a des systèmes actuellement qui fonctionnent. Peut-être qu'il faut seulement les resserrer, les rendre plus stricts, mieux encadrés. Mais est-ce qu'on doit avoir une ligne de délation? J'ai un petit peu de difficulté avec ça.»

Elle préconise une approche différente, en vertu de laquelle les employés et les élus se verraient rappeler les règles d'éthique auxquelles ils sont assujettis. «Il s'agit de reconfirmer les devoirs de loyauté, d'honnêteté et d'intégrité, les exigences, les attentes raisonnables de la Ville à cet égard, et de s'assurer qu'on intervient.»

L'ombudsman a fait cette sortie en marge de la présentation de son rapport annuel, le sixième depuis que la Ville a créé cette institution. On y constate une hausse de 33 % des plaintes en 2008 par rapport à l'année précédente, essentiellement à cause de la notoriété grandissante du bureau de l'ombudsman. Des 1753 plaintes de toutes sortes déposées par les Montréalais, l'écrasante majorité - 80 % - ne correspondaient pas au mandat de l'ombudsman et ont été refusées ou référées aux autorités municipales. Le bureau de l'ombudsman a finalement tenu 289 enquêtes approfondies, «qui se sont toutes réglées à notre satisfaction», note Mme Savard.

L'exemple le plus frappant concerne une lacune du Service des incendies de Montréal qui empêchait des centaines de citoyens victimes d'un incendie d'obtenir un remboursement de leurs assurances. «Pour toutes sortes de raisons liées aux relations de travail», a expliqué Mme Savard, les rapports d'événements n'étaient pas remis aux citoyens. Or, ceux-ci devaient obtenir ce document crucial pour le remettre à leurs assurances. Des centaines de victimes attendaient, sans pouvoir finaliser leur dossier d'assurances. L'intervention de l'ombudsman auprès de la direction des incendies a permis de régler l'imbroglio administratif.

«Un nouveau type d'attestation a été créé, explique Mme Savard. On dit toujours que nous, au bureau de l'ombudsman, on s'occupe des petits dossiers et que les grands dossiers vont au vérificateur général. Mais on a quand même parfois beaucoup d'impact sur le quotidien des gens.»

Le Plateau dénoncé

Globalement, Johanne Savard a tenu à féliciter l'administration de la Ville de Montréal et des arrondissements pour leur collaboration. À une seule exception près: le Plateau Mont-Royal. «Dans les faits, c'est difficile, c'est très difficile. Au Plateau, c'est comme arracher une dent à chaque information. Il faut même vérifier les informations qu'on nous donne, elles sont parfois non conformes à la réalité.»

Elle affirme que c'est la directrice de l'arrondissement, Johanne Falcon, qui est au coeur du problème. Des employés auraient reçu la consigne de ne pas transmettre d'informations à l'ombudsman, d'autres auraient été semoncés après l'avoir fait. «J'en ai parlé à la mairesse de l'arrondissement plusieurs fois, j'ai même sonné la cloche auprès du directeur général de la Ville, qu'on avait des grosses difficultés. On est obligé de passer par des élus pour régler des problèmes de gestion, ça n'a pas de bon sens.»