Les compressions de 13,8 millions imposées au Service de police de la Ville de Montréal ont fait une première victime: la salle d'écoute. Ce service crucial où convergent tous les enregistrements audio et vidéo de surveillance sera amputé de moitié, selon une note interne de service obtenue par La Presse.

Sous le couvert de l'anonymat, des policiers ont dénoncé cette mesure «incompréhensible» qui mettrait «sur la glace des enquêtes de grande envergure». La direction s'est défendue en soutenant qu'aucune enquête prioritaire ne serait touchée et qu'aucun employé ne serait congédié ou muté.La salle d'écoute, peu connue du grand public, regroupe une vingtaine d'employés, civils et policiers, affectés au traitement des millions d'heures d'enregistrement obtenues par la surveillance électronique. On y suit autant les enregistrements de conversations téléphoniques de suspects que les déplacements grâce à des vidéos. Le service dispose également de traducteurs et de techniciens qui permettent d'installer l'équipement de surveillance après l'obtention des mandats. Dans un dépliant de promotion, le SPVM vante d'ailleurs son service d'écoute où «plusieurs membres du personnel parlent plusieurs langues» et qu'il loue à d'autres services policiers.

Son travail avait notamment permis de constituer l'essentiel de la preuve dans la condamnation de 15 membre du gang de la rue Pelletier, au début de l'année 2007. En 2006 et en 2008, les deux grandes opérations qui avaient éliminé les réseaux de revendeurs de drogue au centre-ville reposaient essentiellement sur de l'écoute électronique.

Chose certaine, l'écoute électronique est une méthode d'enquête pratiquement incontournable dans le cas des gangs de rue, note un policier. «Ils sont dans des cercles tellement fermés que l'utilisation d'agents doubles est très difficile.»

Dans une note de service envoyée par courriel et datée du 25 mars dernier, le directeur adjoint Jacques Robinette a présenté à six de ses collègues cette décision comme «une mesure exceptionnelle visant à réduire les coûts de fonctionnement». «Dans le cadre des efforts de rationalisation des coûts, j'ai convenu avec la Direction des opérations de fermer la salle d'écoute de 50%, et ce, afin de diminuer les différents coûts associés à son fonctionnement», peut-on lire. «J'ai d'ailleurs avisé vos inspecteurs-chefs ce matin dans le comité gang de rue.»

Des policiers et des sources bien informées ont confirmé à La Presse que la décision administrative avait causé une certaine commotion, essentiellement parmi les enquêteurs affectés aux dossiers majeurs. En entrevue, M. Robinette assure qu'il est «complètement faux» d'affirmer que des enquêtes importantes sont interrompues à cause de cette décision administrative.

«Il n'y a aucune enquête d'urgence, aucune enquête prioritaire, aucune enquête qui vise des priorités organisationnelles -comme les gangs de rue- qui vont attendre ou être mises sur la glace, ou qui vont être arrêtées à cause de nos mesures de rationalisation, a-t-il martelé. Toute enquête dite urgente, toute enquête qui touche la sécurité des citoyens, tout ce qui est prioritaire va continuer à faire l'objet de mesures exceptionnelles comme l'écoute électronique.»

Il s'agit en effet un outil ultime auxquels bien des policiers n'auront jamais recours durant toute leur carrière. Un ex-enquêteur a ainsi confié à La Presse avoir demandé une fois en trois décennies l'autorisation de mettre un suspect sous écoute. «Et on me l'a refusée», précise-t-il. Jacques Robinette renchérit: «C'est un moyen d'enquête exceptionnel, le dernier recours, le dernier moyen d'enquête. Il y a plusieurs moyens d'enquête qui existent avant d'en arriver à l'utilisation de l'écoute électronique. C'est pour ça qu'il faut le rationaliser.»

La mesure est effective depuis deux semaines. Pour des raisons de «sécurité», M. Robinette refuse de préciser comment on a fermé 50% de la salle d'écoute, comme le dit son courriel, ni quelles économies ont été réalisées. Mieux, il assure que la mesure ne touchera pratiquement pas les employés. «J'insiste là-dessus : il n'y a aucun licenciement, aucun congédiement, personne ne perd son emploi. Il n'y a pas de mise à pied temporaire non plus, autant chez les policiers que chez les employés civils. Ils ne sont pas réaffectés non plus dans d'autres unités. Ils vont continuer à faire le travail pour lequel ils sont payés.»

Mais comment peut-on obtenir des économies dans ce cas? Le directeur adjoint évoque encore la confidentialité des opérations. «Ce sont des enquêtes dites secrètes. Le but est de rationaliser les coûts, mais je ne vous dirai pas comment s'articule la récupération de coûts.»

En plus de cette mesure, le SPVM ne comblera pas une soixantaine de postes de policiers et de civils qui doivent partir à la retraite d'ici septembre, a révélé hier un journaliste du site RueFrontenac.com. Selon une source, en y ajoutant diverses mesures d'efficacité et une réduction des heures supplémentaires, le SPVM a réussi à trouver 10 des 13,8 millions que l'administration Tremblay lui a demandé de retrancher.