Le vrai problème de Montréal, ce n'est pas d'avoir trop d'arrondissements, mais de leur avoir donné trop de pouvoirs, estiment trois experts interrogés par La Presse.

«C'est le statut des arrondissements qui nécessite une réflexion, et non pas simplement de savoir qu'on pourrait en couper la moitié pour faire des économies, dit l'urbaniste Gérard Beaudet, directeur de la faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal. Je ne suis pas sûr que régler ça, c'est simplement un exercice mathématique - on en coupe un tiers, une demie, les trois quarts?»

 

Il y a peut-être des économies à réaliser en éliminant la moitié des arrondissements. Mais là n'est pas la question. «Tous ces arrondissements, avec leurs trop grandes responsabilités, c'est un gaspillage. Il n'y a aucun doute là-dessus, on est surgouvernés, estime Mario Polèse, professeur et chercheur à l'Institut national de recherche scientifique. Mais réduire le nombre d'arrondissements, ce n'est peut-être pas la bonne façon de procéder. Moi, je serais plutôt allé vers une réduction assez radicale des responsabilités des arrondissements.»

Les observateurs de la scène municipale utilisent la même expression pour désigner la maladie qui ronge la métropole: la «balkanisation» de Montréal. Cette structure ingérable et incohérente viendrait des efforts déployés en 2004 par Québec et les autorités montréalaises pour éviter les défusions. En accordant plus de pouvoirs aux arrondissements, on espérait convaincre les citoyens des villes fusionnées de ne pas voter oui aux référendums.

La stratégie a échoué, 15 municipalités ayant décidé de quitter Montréal. La structure, elle, est restée. «Tout l'exercice de fusions-défusions a été improvisé, ç'a été bricolé, et tous les observateurs ont le même jugement: c'est à peu près impossible de faire de vrais exercices de gouvernance avec de la cohérence dans la région métropolitaine de Montréal, dit M. Beaudet. Et le problème est à tous les échelons.»

Les économies d'échelle que permettrait la fusion de plusieurs arrondissements ne convainquent pas Pierre J. Hamel, spécialiste en économie urbaine de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). «Les élus municipaux ne sont pas payés si cher que ça. Que ce soit une ville de plus d'un million ou plusieurs arrondissements, c'est à peu près le même nombre de cols bleus. Et à peu près le même nombre de contremaîtres. Bon, ça ne prend peut-être pas autant de directeurs en chef, mais quand vous comptez le nombre de directeurs adjoints qu'il faudra ajouter, pas certain qu'on fasse de grosses grosses économies.»

S'il admet lui aussi que Montréal souffre d'une certaine incohérence au chapitre de la division des pouvoirs, il croit que la décentralisation demeure souhaitable. «On veut avoir le pouls de la population, le système le plus démocratique possible. Est-ce que c'est possible d'avoir une ville de Montréal qui serait dirigée par un conseil municipal de 30 personnes? Ça me semble un peu court.»

Le déneigement, les transports, l'urbanisme, la promotion économique, «tous les dossiers dont la portée excède le territoire des arrondissements devraient relever de la ville centre», estime M. Beaudet. Mais l'exercice ne devrait pas se faire dans le but d'engranger des économies. «C'est une question de gouvernance, d'abord et avant tout, et il me semble qu'on ne règle pas les questions de gouvernance strictement sur des motifs économiques.»