Au lendemain de l'évacuation de l'immeuble de la rue Deguire, dans l'hôtel où sont hébergés les locataires, des enfants courent autour de leurs parents aux yeux cernés. Certains s'essuient les yeux. Beaucoup sont en colère. Et aucun n'a l'intention de retourner vivre au 135, Deguire.

«Le garage, c'est le commencement. Et si tout l'immeuble s'effondrait?» demande Arda Chichmanian, qui vit avec ses deux enfants au cinquième étage. L'immeuble, mentionne-t-elle, est mal entretenu. «Les propriétaires mettent l'argent dans leurs poches et ne le dépense pas pour les locataires.»

La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a terminé hier l'inspection de la structure des trois tours du complexe d'habitation de la rue Deguire, propriété de CAP REIT. Les structures des immeubles ont été jugées «sécuritaires et ne présentent aucun risque d'effondrement», a indiqué la Régie hier. Toutefois, des travaux de solidification du stationnement du 135, Deguire devront être complétés «pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'autres effondrements qui pourraient affecter la bâtisse», dit Marjolaine Veillette, porte-parole de la RBQ.

Lorsque ces travaux de solidification seront réalisés à la satisfaction de la RBQ et attestés par la firme d'ingénieurs du propriétaire, l'immeuble pourra être rouvert après avoir rétabli l'eau et l'électricité. L'accès au stationnement de l'immeuble voisin reste également restreint en attendant des expertises plus poussées.

Hier midi, les usagers du stationnement ont été nombreux à en dénoncer le mauvais entretien. Plusieurs disent avoir déjà signalé aux employés d'entretien l'eau qui s'écoulait de fissures dans le béton. «Il y avait même des seaux pour recueillir l'eau, dit Simon Abou Antoun. Il y avait de la rouille partout. L'an dernier, ils ont peinturé sur la rouille.»

D'autres locataires ont noté de nombreux vols dans les voitures garées dans le stationnement et le refus du propriétaire d'installer des caméras de sécurité.

L'entretien de l'immeuble de 14 étages laissait aussi à désirer, selon plusieurs locataires, particulièrement depuis l'arrivée de CAP REIT ces deux dernières années. Les quelque 200 appartements sont mal chauffés, se sont plaint certains, et les menus travaux (comme la réparation d'un robinet qui coule) sont négligés.

«Nous avons un chat qui est resté dans l'appartement», confie Zerata Houda, que la fatigue et le stress ont rendu aphone. Personne ne pouvait lui dire quand elle pourrait aller le récupérer. Compte-t-elle retourner vivre dans l'immeuble? «Oh non! mais pas juste à cause de ce qui est arrivé. Il fait froid, les ascenseurs ne fonctionnent pas bien...»

Vers midi, les locataires se sont réunis pour rédiger leurs demandes à l'endroit du propriétaire. Qui va payer pour les achats qu'ils doivent faire en attendant de retourner à la maison, ou pour la journée de travail qu'ils ont manquée? Suspendra-t-il les prélèvements automatiques pour le loyer de décembre? Sera-t-il possible de casser le bail pour déménager ailleurs?

Au milieu de l'après-midi, un représentant de CAP REIT est venu les rencontrer. L'accès aux logements était toujours suspendu, mais CAP REIT assurait qu'elle allait fournir l'hébergement et la nourriture, en collaboration avec la Croix-Rouge, tant que les locataires ne pourraient réintégrer leur logement.

Immeuble fantôme

Au pied de l'immeuble évacué, d'autres locataires attendaient la suite. «Ma femme ne veut pas revenir vivre ici», dit Lahcan Malhi, père de deux jeunes enfants, qui paye 755$ par mois pour un logement chauffé avec deux chambres. Il dit avoir signalé des fissures suspectes dans le stationnement dès l'été 2005.

Une jeune femme attendait de pouvoir aller chercher des effets personnels dans la garderie. «J'étais dans la prématernelle avec cinq enfants de 4 ans quand j'ai entendu le bruit de l'effondrement», dit cette éducatrice qui a préféré ne pas s'identifier. Une alarme a retenti, et l'éducatrice a ramené d'urgence les enfants du sous-sol au rez-de-chaussée de la garderie.

«On a pris tous les manteaux et on est sorti», dit la femme, encore ébranlée. «J'ai très mal dormi la nuit dernière. Je ne me sentais pas bien, j'avais envie de vomir.»