L'administration du maire Gérald Tremblay a fait fi de l'opinion de ses propres juristes et contourné la Charte de la Ville de Montréal pour privatiser et fusionner deux importantes sociétés paramunicipales qui, ensemble, gèrent des actifs immobiliers d'environ 300 millions de dollars, selon une enquête réalisée par La Presse.

Selon la Charte, la Ville devait demander l'autorisation du gouvernement du Québec pour fusionner la Société de développement de Montréal (SDM) et la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM). Le comité exécutif de la Ville, alors dirigé par Frank Zampino, a décidé de passer outre à cette disposition, car cela aurait pris trop de temps à son goût. Il a plutôt décidé de les convertir en organismes à but non lucratif et de les fusionner en vertu de la Loi sur les compagnies, le 1er janvier 2007.Cette décision, en apparence technique, a des conséquences concrètes. Sous la direction de Martial Fillion, ancien chef cabinet du maire, la SHDM s'est en partie comportée comme si elle n'avait pas à suivre toutes les règles de fonctionnement de la Ville. Elle s'est ainsi engagée à verser 15,8 millions de dollars à l'entrepreneur Frank Catania, alors qu'aucun règlement municipal ne l'autorisait à agir de cette façon.

Toujours sous la direction de M. Fillion, la SHDM a prétendu qu'elle n'était plus assujettie à la Loi d'accès à l'information, ce qui était faux. Elle refuse toujours de dire qui a répondu à un appel d'offres lancé il y a deux ans, et qui a finalement été accordé à Frank Catania et associés.

Le 10 octobre dernier, M. Fillion a été suspendu avec solde lorsque La Presse a révélé qu'il faisait l'objet d'une enquête interne pour avoir présumément avantagé de façon indue l'entrepreneur Frank Catania. L'enquête se poursuit.

En vertu de ses nouvelles lettres patentes, la SHDM peut acquérir et posséder des biens immobiliers jusqu'à un milliard de dollars. La façon dont elle a vendu des immeubles et des terrains a été contestée depuis quelques semaines, notamment au conseil municipal.

Hier, Richard Bergeron, chef d'un des deux partis de l'opposition, a réclamé une enquête publique au premier ministre Jean Charest sur les transactions foncières et immobilières de la Ville. «La fusion de la SDM et de la SDHM, puis la transformation de cette dernière en société privée à but non lucratif, ont-elles respecté la Charte ?» demande-t-il.

Selon la Charte, la Ville de Montréal doit demander l'autorisation au gouvernement du Québec avant de créer des organismes à but non lucratif pour agir dans le domaine immobilier et de fusionner des sociétés paramunicipales. Seul le lieutenant-gouverneur a le pouvoir de «délivrer sous le grand sceau de la province des lettres patentes» à cet effet.

C'est ce que Me Lyne Charest, directrice des affaires juridiques de la Ville, a rappelé lorsqu'il a été question de fusionner la SHDM, qui s'occupait surtout de logement social, et la SDM, qui gérait le parc immobilier de la Ville. Mais son patron, Robert Cassius de Linval, directeur du Service des affaires corporatives, a rejeté son opinion et lui a préféré celle d'un professeur de droit, Jean Hétu.

Vide juridique

Jean Hétu soutenait qu'il s'était créé un vide juridique lors des fusions municipales, a dit M. de Linval, au cours d'un entretien, lundi. «Hétu dit quelque chose de très simple : la Charte qui a permis la création de la SHDM et de la SDM avant les fusions municipales du 1er janvier 2002 n'existe plus. Cette Charte a disparu. Rien n'indiquait que ces deux sociétés étaient soumises à la nouvelle Charte qui est entrée en vigueur avec la nouvelle Ville de Montréal en ce 1er janvier 2002.»

M. de Linval a donc recommandé au comité exécutif de convertir la SHDM et la SDM en sociétés privées en vertu de la Loi sur les compagnies, puis de les fusionner en vertu de la même loi. «Les instances ont choisi de retenir cette interprétation», a-t-il dit. Pourquoi avoir agi ainsi ? Pourquoi ne pas avoir suivi plutôt les dispositions de la Charte ?

«La Ville cherchait à réaliser le plus d'économies possible, a-t-il dit. En fusionnant la SDM et la SHDM, on réduisait le nombre de postes de 15 personnes par année et la contribution financière de la Ville passait de 4,1 millions à 2,7 millions en 2007.» En suivant la Charte, la fusion aurait pu prendre trois ans, car le gouvernement du Québec aurait alors cherché à clarifier tous les titres de propriété, a indiqué une source bien au fait du dossier.

Ces questions d'économie sont un prétexte, a ajouté cette source. «En vérité, plusieurs des 15 personnes qui ont quitté ces deux sociétés se sont retrouvées à la Ville et ont donc continué à être payées. À l'inverse, la Ville est probablement en train de dilapider une partie de son patrimoine immobilier et à vil prix. Tel est l'enjeu.»

Il a été impossible, hier, d'obtenir des commentaires des porte-parole du maire Gérald Tremblay et de la ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau.