Des vérificateurs internes de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM), qui gère plusieurs terrains et immeubles de la Ville, enquêtent sur le directeur général de cette société, Martial Fillion, a appris La Presse. Plus d'un fait les intrigue, entre autres celui-ci : la Ville ne fera pas un sou avec un terrain de 38 hectares, évalué à 25 millions de dollars, qu'elle a vendu à Construction Frank Catania par l'entremise de la SHDM, l'année dernière.

Deux membres du conseil d'administration de la SHDM ont rencontré le directeur exécutif de la Ville, Claude Dauphin, la semaine dernière, pour lui parler de M. Fillion. M. Dauphin leur a dit que c'était à la SHDM de prendre les mesures qu'elle estime nécessaires. Mais, selon nos sources, cette rencontre a ébranlé l'administration du maire Gérald Tremblay.

M. Fillion a été le chef de cabinet du maire. Sa conjointe est Francine Sénécal, qui a démissionné de son poste de vice-présidente du comité exécutif, deux jours après cette rencontre. Il travaillait étroitement avec l'ancien président du comité exécutif, Frank Zampino, qui s'est intéressé au projet de Catania jusqu'à sa propre démission, en juillet.

«M. Fillion a-t-il fait en sorte qu'un contrat favorise Catania?» a demandé La Presse à Gérard Henry, un des trois membres du comité de vérification de la SHDM, hier. «Je ne sais pas quelles sont vos sources, mais elles ne sont pas mauvaises, a-t-il répondu. Ou encore c'est Catania qui a modifié le contrat. On n'en est pas sûrs. On a l'impression que c'est peut-être lui.» Avec l'approbation de M. Fillion? «Probablement», a-t-il dit.

«Je pense qu'il (M. Fillion) va partir, mais ce sont des décisions qui n'ont pas encore été prises », a-t-il ajouté. L'avenir du directeur de la SHDM sera décidé par le conseil d'administration : «Il ne faut pas être devin pour dire que ça va arriver sur la table, c'est bien sûr», a conclu M. Henry.

Robert Dobie, autre membre du comité de vérification, a confirmé que les rapports entre M. Fillion et Construction Frank Catania font partie de l'enquête. «Le rapport (de vérification) devrait être prêt la semaine prochaine, a-t-il précisé. Des recommandations seront faites. Ça se peut que le départ de M. Fillion se fasse.»

Le porte-parole du comité exécutif de la Ville, Darren Becker, a refusé de divulguer les noms des deux membres du conseil d'administration qui ont rencontré Claude Dauphin, le président du comité exécutif. Il a seulement confirmé qu'il avait été question de M. Fillion. Il a dit par ailleurs que la démission-surprise de sa conjointe, Francine Sénécal, n'est pas liée à cette rencontre, même si elle est survenue deux jours plus tard. Il a été impossible de parler à M. Fillion.

MM. Henry et Dobie, les deux membres du comité de vérification, ont dit que l'enquête portait sur plusieurs décisions, mais en particulier sur celles qui entourent le terrain acheté par Construction Frank Catania. Il s'agit d'un des plus importants développements immobiliers de Montréal, soit presque 1900 logements, appelé projet Contrecoeur.

Une vente à perte

Voilà plusieurs années que la Ville voulait vendre ce vaste terrain, situé à l'est de l'autoroute 25, au nord de la rue Sherbrooke, en bordure ouest de la carrière Lafarge. L'année dernière, le comité exécutif de la Ville a décidé de le céder à la SHDM sans compensation immédiate, lors d'une réunion à laquelle assistaient M. Zampino et Mme Sénécal. L'acte de cession stipule seulement que la Ville devait faire 70% des profits réalisés, lorsque la SHDM le revendrait à un promoteur.

Même si le terrain était évalué à 25 millions de dollars, la SHDM l'a vendu pour 19 millions à Construction Frank Catania, en octobre dernier. De ce montant étaient soustraits 14,7 millions, qui représentaient en bonne partie les coûts de décontamination que Catania devait assumer. Comme la SHDM se prenait une commission de vente de 2,5 millions, la Ville devait se contenter au bout du compte d'un revenu de 1,5 million.

Catania a entreposé de la terre contaminée sur une parcelle devant être transformée en parc. L'entrepreneur voulait en laisser une partie sur place et aménager un talus qui aurait occupé presque toute la superficie du parc. La loi obligeait l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve à exiger un parc avec un talus beaucoup plus petit. Catania a donc dû enlever cette terre contaminée, ce qui lui a coûté 1,6 million.

Catania a présenté la facture à la SHDM, qui lui a dit de la présenter plutôt à la Ville. «C'est l'arrondissement qui l'a obligé à enlever cette terre, et cette dépense n'était pas prévue au contrat», a dit hier Stéphanie Gareau, porte-parole de la SHDM. Mais voilà : le contrat aurait justement dû contenir cette clause, puisque la loi l'exigeait. Comme il ne la contenait pas, la Ville devra payer 1,6 million, ce qui vient effacer le maigre profit de 1,5 million qu'elle pouvait espérer réaliser. Bref, non seulement la vente ne rapportera pas un sou à la Ville, mais elle va lui coûter 100 000$.

Le fondateur du groupe Catania, Frank Catania, est un personnage controversé. Le mois dernier, un document de la GRC déposé en cour révélait qu'il avait été filmé par les policiers en compagnie du parrain de la mafia montréalaise, Nick Rizzuto. En 2005, les dirigeants de la mafia se sont cotisés pour lui acheter un cadeau pour son départ à la retraite. Hier, La Presse a tenté de parler à son fils, Paolo Catania, qui a pris sa relève, mais il ne nous a pas rappelé.