Un réseau de fraudeurs aux ramifications internationales vient d'être démantelé par une équipe d'enquêteurs de la Sûreté du Québec et de la GRC. Les fraudes, de près de 100 millions de dollars, se faisaient par cartes bancaires clonées grâce à une méthode précise et efficace comme on en voit rarement.

Aidés du SPVM et d'autres corps policiers municipaux, les policiers ont arrêté ce mercredi 48 membres présumés de ce réseau. En tout, 61 mandats d'arrêt ont été lancés. D'autres arrestations devraient donc avoir lieu sous peu. La GRC publie d'ailleurs sur son site Web les noms et photos des personnes recherchées.

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Ce matin, des dizaines de voitures de police banalisées attendaient en file devant le Centre opérationnel nord du SPVM pour y déposer les prévenus, qui devaient y être détenus en attente de leur comparution.

Les arrestations ont été réalisées à Montréal et à Laval ainsi que sur la Rive-Nord et en Ontario.

L'enquête, baptisée Chapitre, a été amorcée en 2008 après des plaintes d'institutions bancaires. Elle a mené à 34 perquisitions en novembre 2010 dans les mêmes secteurs, en plus de la région de Québec.

La police avait alors saisi 12 000 cartes bancaires contrefaites, des terminaux de paiement trafiqués, de fausses devantures de guichets automatiques, 120 000 $ comptant et des armes à feu. Il semble que le groupe, qui avait des ramifications notamment en Tunisie, en Angleterre et en Nouvelle-Zélande, usait de violence pour préserver ses acquis.

Le gang «n'était pas un groupuscule d'individus, mais une organisation bien rodée avec les moyens de ses ambitions», a indiqué le sergent d'état-major de la GRC, Guy Pilon.

Il usait d'un stratagème simple et maintes fois éprouvé, qu'il semble toutefois avoir raffiné.

L'organisation comptait des patrons, des techniciens spécialisés dans la modification de terminaux et des «soldats» chargés de les installer dans les commerces.

«Avec ou sans la complicité de personnes qui travaillaient dans les commerces visés, comme des restaurants, les soldats se présentaient vers l'heure de la fermeture dans des commerces pour remplacer des terminaux non sécurisés par un terminal bidon. Le lendemain, ils revenaient pour replacer le bon terminal, après avoir changé des pièces à l'intérieur. Ils installaient notamment un système Bluetooth. Ça enregistrait les données des cartes. À l'extérieur, les complices avec un ordinateur portable captaient les données à distance, et n'étaient même pas obligés de retourner dans le commerce pour récupérer le terminal», a expliqué un autre sergent d'état-major, Yves Leblanc, responsable de l'enquête.

Pour ensuite retirer de l'argent avec les cartes clonées, les truands ont aussi pu contourner les mesures de sécurité des institutions bancaires.

Les soldats recevaient chacun de leur côté des coffrets de métal cadenassés contenant un certain nombre de cartes. Le jour d'un retrait, ils recevaient un message texte avec les combinaisons des cadenas. Ils devaient ensuite se rendre en même temps dans divers guichets pour faire plusieurs retraits en même temps.

Si les retraits avaient été faits en divers moments, les systèmes de sécurité des banques auraient pu retracer les autres cartes utilisées dans les terminaux trafiqués et les bloquer, a expliqué Yves Leblanc. Le gang contournait ainsi ce problème.

«Lors d'un des retraits observés, ils ont visité 23 institutions bancaires, effectué 203 retraits pour 30 000 $ en 5 minutes. Et ils pouvaient recommencer trois fois par jour», a illustré le sergent Leblanc avec la carte d'une opération menée par les bandits pendant l'enquête.

Le groupe modifiait aussi des guichets automatiques d'institutions financières. Ils réussissaient à y installer un dispositif qui copiait les données des bandes magnétiques des cartes. De plus, ils plaçaient au dessus des guichets une caméra si petite, à l'objectif à peine plus grosqu'une tête d'épingle, qu'elle était impossible à détecter pour les clients. Cette caméra enregistrait les images des clients au moment où ils composaient leur numéro d'identification personnel (NIP).

Une bonne partie des profits de la fraude a été envoyée à l'étranger, vers les pays d'origine des têtes dirigeantes du réseau, notamment le Liban et le Sri Lanka. La police a perdu la trace de cet argent puisqu'il a quitté le pays en billets, et non par virements bancaires.

Yves Leblanc indique qu'une partie de l'argent a servi à la construction de maisons et de voitures, bref à des fins personnelles, mais on ne peut exclure qu'il ait pu financer des activités criminelles sur la nature desquelles la police n'a toutefois pas d'idée précise.

Questionné à savoir si cet argent aurait pu servir à financer des groupes terroristes, il a dit n'avoir aucune indication en ce sens.

Les 48 suspects ont comparu cet après-midi. Au nombre des 368 chefs d'accusation retenus contre eux figurent ceux de fraude, mais surtout de gangstérisme. Il s'agit d'accusations rarement portées au Canada en matière de crimes fiscaux.

Lors de ces comparutions on a pu apprendre que les 61 suspects appartenaient en réalité à deux organisations criminelles associées.

«Il s'agit de deux organisations distinctes qui collaboraient ensemble», a expliqué la procureure de la Couronne du Bureau de lutte au crime organisé, Me Virginie Leblond. Deux des trois présumées têtes dirigeantes du premier groupe ne sont toujours pas arrêtées, soit Chabesan Chanmugarasa et Satheesan Shanmugarajah. La seconde organisation serait dirigée par Mahmoud Alieh et Imad Ibrahim. Chanmugarasa et Alieh ont des antécédents criminels en matière de fraude.

Dans une salle bondée de membres de leurs familles respectives et des nombreux avocats de défense, les accusés ont comparu un à un mercredi après-midi par vidéoconférence, en direct du Centre opérationnel nord où ils étaient détenus depuis le matin. La poursuite s'est objectée à la mise en liberté de 29 d'entre eux. Ceux qui ont pu recouvrer leur liberté ont dû s'engager à remettre leur passeport et à déposer une caution de plusieurs milliers de dollars chacun. Tous reviendront devant la cour le 14 mai.

- Avec Caroline Touzin

Photo Patrick Sanfaçon

Les personnes arrêtées ou qui le seront dans les prochaines heures seront accusées de gangstérisme, fraude, fabrication de fausses cartes et vol d'identité.

Projet Chapitre - Liste des accusés

Balachandran ANTON PHILIP, 40 ans, Montréal

Balagopalan KAMALANATHAN, 27 ans, Pierrefonds

Chabesan CHANMUGARASA, 35 ans, Pierrefonds

Chadi Abi CHDID, 30 ans, Laval

David BADARO, 31 ans, Sainte-Julie

Devin PATEL, 27 ans, Pierrefonds

Dinesh VASUDEVAN, 23 ans, Montréal

Harpan SINGH, 26 ans, Saint-Laurent

Helmut THAVASELVARAJAH, 32 ans

Hicham BREIK, 27 ans, Montréal

Jegajeevan VISVALINGAM, 27 ans, Montréal

Jegatheeswaran THANGARAJAH, 40 ans, Pierrefonds

Joe Abi CHDID, 25 ans, Laval

Kumar Shankar GNANENDRAN, 29 ans

Marwan BARAKAT, 30 ans, Laval

Mathulan SRIKANTHA, 21 ans, Scarborough

Mohammed EL MADHOUN, 34 ans, Laval

Natheeskumar NALLIAH, 33 ans, Montréal-Nord

Nicolas HADDAD, 28 ans, Saint-Laurent;

Rajaneeswaran SELLEMANIKKAM, 35 ans, Saint-Laurent

Ratnasekaran KRISHNAN, 36 ans, Pierrefonds

Rawad Chafic NAMMOURA, 32 ans, Saint-Laurent

Rubakumar SELVARASA, 33 ans, Montréal

Sathees GNANATHURAI, 26 ans, Dollard-des-Ormeaux

Satheesan SHANMUGARAJAH, 33 ans, Pierrefonds

Sathiyarathan YOGASUNTHARAM, 36 ans, Scarborough

Soosaithasan RAJARETNAM, 36 ans, Dollard-des-Ormeaux

Achraf CHHIBA, 32 ans, Terrebonne

Srikalamanathan JAYARAM, 45 ans, Montréal

Sritharan NADARAJAH, 30 ans, Saint-Laurent

Stephen VASUDEVAN, 21 ans, Montréal

Tharshanna NAMASIVAYAM, 26 ans, Saint-Laurent

Vakeesan KIRUPANITHY, 28 ans, Saint-Hubert

Varatharajan YOGARAJAH, 35 ans, Montréal

Yussof EL MKARI, 20 ans, Laval

Gabriel Alexander DEVRIES, 28 ans, Anjou

Dipeshbhai PATEL, 26 ans, Montréal

Rabih Ahmad SARRIS, 34 ans, Pierrefonds

Imad IBRAHIM, 30 ans, Sainte-Thérèse

Mihaela Inda BUDNAR, 31 ans, Laval

Jérôme HUARD, 27 ans, Montréal

Jean-Philippe MIRAND, 28 ans, Laval

Ibrahim Abdallah IBRAHIM, 62 ans, Sainte-Thérèse

Chadi MATAR, 30 ans, Laval

Sébastien Massicotte-Lalumière, 23 ans

Mahmoud ALIEH, 30 ans, Montréal

Khaled IBRAHIM, 23 ans, Montréal

Nicolas SOBOH, 28 ans, Laval

Ralph Étienne DELVA, 27 ans, Terrebonne

Pierre-André CASSEUS, 31 ans, Laval

Joseph Abou KHALIL, 28 ans, Laval

Cédric MOURANI, 31 ans, Saint-Laurent

Bassam CHEAIB, 33 ans

Sami RAIS, 28 ans, Laval

Fahd HASSAN, 29 ans, Brossard

Sylvain LACAS, 51 ans, Rosemère

Idriss BENNAGHMOUCH, 31 ans, Rosemère

Marc ABASKHAROUN, 25 ans, Montréal

Charbel ANTONIOS, 31 ans, Montréal

Mohamad EL ENTABLI, 30 ans, Laval

Jean-Luc Serge MARIN, 64 ans, Montréal-Nord

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- Avec Caroline Touzin

Photo Patrick Sanfaçon, La presse

Plusieurs documents ont aussi été saisis.