L'ouverture il y a trois mois d'un club compassion destiné à la vente de marijuana à des fins thérapeutiques sème la controverse dans l'arrondissement de Lachine. L'organisme assure que ses membres s'y rendent pour soulager de réelles douleurs, les autorités en doutent et le voisinage déplore les désagréments provoqués par l'arrivée de cette nouvelle clientèle dans le quartier.

Il était tôt hier quand Gary Webber, l'un des cofondateurs de l'organisme Culture 420, est arrivé au local de la rue Notre-Dame, à l'angle de la 15e Avenue, un exemplaire de la Gazette sous le bras. La une était consacrée à son centre.

 

L'existence de ce petit local un peu terne dans un secteur commercial et résidentiel - situé à un jet de pierre d'un poste de police - est pourtant passée sous le radar depuis son ouverture il y a trois mois.

Et pourtant, le petit centre, où travaillent une quinzaine de bénévoles et qui abrite deux bureaux et quelques tables, est visité chaque semaine par des centaines de membres.

Des membres «accrédités»

Ces derniers peuvent s'y procurer une douzaine de variétés de marijuana à partir de 10$ le gramme. Un prix assez élevé pour éviter la revente, nous dit-on. Les clients doivent se «limiter» à un maximum de 40 grammes par semaine. M. Weber dit que l'argent généré par la vente est redistribué à des organismes locaux.

Une forte odeur de cannabis vous prend au nez dès que vous poussez la porte, et ce, même si les clients ne peuvent consommer sur place.

M. Webber assure que les 1000 membres du centre ont apporté un papier dûment signé par un médecin ou une déclaration écrite approuvée par un notaire pour obtenir leur carte.

Les clients doivent souffrir d'une maladie ou de douleurs inscrites sur une liste rédigée par Santé Canada. Le VIH, le cancer, la dystrophie musculaire, la paraplégie ou la sclérose en plaques y figurent, aux côtés des migraines, douleurs chroniques et troubles du sommeil. «On ne demande pas de prescription pour le pot, mais on va faire nos vérifications», assure M. Webber, qui se défend de vendre à n'importe qui.

Depuis l'ouverture du premier club compassion canadien en 1996, l'éternel débat sur la légalisation et la décriminalisation du pot refait régulièrement surface.

Au Québec, le premier endroit du genre a ouvert ses portes en 1999 rue Rachel à Montréal. Avec celui de Lachine, on retrouve actuellement trois adresses dans la métropole.

Depuis 2001, une loi fédérale autorise la culture et la consommation de marijuana à des fins thérapeutiques, mais pas la vente. Santé Canada allègue que seul le gouvernement peut faire pousser et vendre de la marijuana.

Un besoin

Mais les responsables des clubs compassion disent répondre à un besoin énorme, que Santé Canada est incapable de pallier seul. «L'achalandage à notre club le prouve», ajoute Gary Webber.

L'idée, enchaîne-t-il, est de fournir un cadre sécuritaire pour se procurer de la marijuana biologique, cultivée par des agriculteurs québécois en faveur de la cause. Une solution de rechange à la marchandise de mauvaise qualité écoulée dans la rue, explique M. Webber. «La grand-mère d'un de nos associés a été attaquée dans un parc parce qu'elle voulait du pot pour soigner son arthrite. C'est ridicule!» plaide Gary Webber.

Au moment de notre passage, nous avons rencontré plusieurs clients du centre, des jeunes pour la plupart. «J'ai des problèmes de dos chroniques depuis que j'ai fait de la course automobile. On va juste encourager la vente dans la rue s'ils ferment l'endroit», croit un client de 19 ans, venu acheter sept grammes de cannabis.

Dans le voisinage, le son de cloche est différent. Plusieurs commerçants en ont surtout assez du va-et-vient. «Je n'ai jamais vu quelqu'un de plus de 35 ans entrer là et c'est évident qu'ils ne sont pas malades», croit une commerçante. «On a perdu notre tranquillité et ça amène des gens peu recommandables dans le coin. On a peur pour notre sécurité», explique une autre.

Certains soirs, une longue file de clients s'étire devant le centre. Des voisins ont fait circuler deux pétitions pour dénoncer la présence du club.

Le centre va bientôt déménager dans un autre immeuble un peu plus loin dans la rue Notre-Dame. Pour les commerçants et voisins interrogés, on ne fera que déménager le problème.

Les autorités à l'affût

Du côté des autorités, l'arrivée du club compassion suscite des inquiétudes. D'abord parce qu'il fonctionne sans permis d'occupation, souligne le maire de l'arrondissement, Claude Dauphin. «Si on vend à des gens qui en ont vraiment besoin, je n'ai pas de problème avec ça. Mais j'ai moi-même vu des jeunes y entrer qui avaient l'air en pleine forme», raconte M. Dauphin, aussi responsable de la sécurité publique à la Ville de Montréal.

Du côté de la police, le directeur adjoint au Service à la communauté pour la région Nord, affirme avoir l'endroit à l'oeil. «On ne tolérera aucune incivilité ou infraction criminelle pouvant compromettre la sécurité de la population», assure Marc Parent.