Savez-vous ce qu'il y a de plus déprimant dans l'élimination rapide du Canadien survenue samedi dernier ? C'est que tout le monde s'en est remis beaucoup trop vite.

Après le match, les joueurs avaient l'air déçus, bien sûr. Mais juste déçus. Il n'y avait personne de meurtri, personne en colère, personne de honteux. Juste des gars qui trouvaient ça plate. Et qui avaient surtout hâte de passer à autre chose. On sentait même une certaine satisfaction de s'être rendu plus loin que la saison dernière. On n'osait pas le dire. Et on a bien fait. Aller plus loin que nulle part, il n'y a pas de quoi se péter les bretelles.

On n'a senti aucune détresse chez aucun joueur. Pas de : « Mamaaan ! C'est finiiiii ! » Pas de : « Tabarnak ! C'est fini ! ! ! » Non plus. Juste un : « Ben coudonc, c'est fini. »

Assurément, la défaite du CH a fait plus mal aux fans qu'aux joueurs. Comme c'est le cas depuis déjà trop longtemps. Mais ce qui est inquiétant, c'est que d'année en année, ça nous fait de moins en moins mal à nous aussi. Samedi, on était choqué. Dimanche, on était triste. Lundi, on était pas si mal.

La relation entre le Canadien et ses partisans fut durant des décennies une histoire d'amour passionnée. On les adorait. Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur... C'était les meilleurs amants de la Terre. Quand une saison, ils nous décevaient, l'année suivante, ils nous offraient une bague de la Coupe Stanley pour se faire pardonner.

Ça fait 24 ans que la belle n'a pas reçu de bague.  Ça fait 24 ans que la belle sèche. On a cru pendant longtemps que les problèmes dysfonctionnels du Tricolore n'étaient que passagers. Ce n'est pas le cas. 

Le Canadien du XXe siècle fut une équipe extraordinaire qui a tout gagné. Le Canadien du XXIe siècle est une équipe ordinaire qui n'a rien gagné. C'est le triste constat qu'il faut faire.

Au lieu de baisser les bras et de gérer le bleu-blanc-rouge, comme on gère Chicago ou la Caroline, la direction devrait se demander pourquoi durant 100 ans, Montréal a possédé la plus grande équipe de hockey de la planète.

La réponse crève les yeux : si le Canadien a marqué l'histoire, c'est à cause du sentiment d'appartenance. C'est l'un des seuls clubs professionnels créés pour regrouper les ti-culs de la place. Les Flying Frenchmen. Et ces ti-culs-là, durant des années, se sont démenés. Parce qu'ils étaient fiers et qu'ils voulaient que la famille soient fiers d'eux. Parce que le hockey est plus important à Montréal qu'à New York ou Los Angeles. Et que s'ils parvenaient à gagner, ils devenaient importants eux aussi. Alors ils se sont mis à gagner.

Vingt-quatre Coupes Stanley, c'est plus de championnats que n'importe quelle équipe sportive. Ne diminuez pas cet accomplissement en disant que c'est parce que jusqu'en 1967, il n'y avait que six équipes dans la LNH. Il n'y avait que six équipes pour Boston aussi, et ils n'en ont que six. Il n'y avait que six équipes pour les Rangers aussi, et ils n'en ont que quatre. Vingt-quatre Coupes Stanley entre 1916 et 1993, c'est phénoménal. Zéro Coupe Stanley entre 1994 et 2017, c'est quelconque. C'est comme Toronto, St. Louis, Philadelphie, Ottawa, Washington, Buffalo, Arizona... C'est comme les autres.

Le Canadien de la belle époque n'était pas comme les autres. Le Canadien, c'était nous autres. Quand on dit qu'il manque de Québécois dans cette équipe, on se fait regarder comme si on était des Donald Trump de la puck. Ça n'a rien à voir. 

Ce qui manque au Canadien, c'est ce qui manque à toutes les équipes qui ne parviennent pas à atteindre les grands honneurs, c'est une identité. Cette identité, le CH l'a eue dans son ADN durant un siècle. De Georges Vézina à Patrick Roy, c'était l'équipe maison.

Bien sûr, le hockey a changé. Bien sûr, il faut s'ouvrir à tous les horizons. À tous les talents. Vivement Price ! Vivement Radulov ! Vivement Lehkonen ! Mais vivement aussi des joueurs pour qui le CH représente plus qu'une équipe de hockey. Des joueurs pour qui le CH fait partie de leur vie. Des joueurs aussi tatoués que les fans. C'est une chose de le dire, c'est une autre chose de le vivre. Le joueur le plus bouleversé samedi soir, c'était Philip Danault. Il avait conscience de la grandeur du rêve qui venait de se briser. Gagner la Coupe à Montréal. Être un héros.

Il savait qu'il allait passer l'été à se faire demander : « Qu'est-ce qui s'est passé ? » Et qu'il allait se sentir mal d'avoir déçu des gens. Pas juste devant les caméras. En lui, aussi.

Miser sur le sentiment d'appartenance, ce n'est pas seulement engager des Tremblay ou des Bélanger. C'est engager, peu importe leurs noms et leur provenance, ceux qui s'investissent. Ceux qui ne sont pas ici en touristes. C'est aussi d'y penser deux fois avant d'échanger le joueur qui s'était le plus impliqué dans la communauté. Mais ça, on n'a pas fini d'en parler...

Ceux qui ne s'inquiètent pas du manque de Québécois dans l'équipe soutiennent que l'important, c'est d'engager les meilleurs. L'argument est logique. Sauf qu'on ne gagne pas nécessairement avec les meilleurs. On gagne avec ceux qui veulent devenir meilleurs que ce qu'ils sont. C'est ça, une équipe. Des êtres qui se rendent meilleurs, les uns, les autres.

Pendant que la flamme anime encore les fans du Canadien, faudrait les trouver. Faudrait les rassembler.

Pour que la défaite ne soit jamais une habitude.