Le dirigeant d'une entreprise d'aviation en vendetta contre Hydro-Québec s'est attaqué à des lignes de transport à haute tension dans les Laurentides à l'hiver 2014, plongeant dans le noir des dizaines de milliers de foyers et causant des pertes de 30 millions à la société d'État.

Les gestes de Normand Dubé, reconnu coupable de méfaits jeudi, s'apparentent à du « terrorisme », plaide la Couronne, qui exige la peine maximale de 10 ans.

Comment l'ancien « pilote des stars », connu pour transporter des vedettes et des clients fortunés en hélicoptère, s'y est-il pris pour saboter des lignes électriques d'Hydro-Québec aux commandes de son avion, le 4 décembre 2014 ? Impossible de le savoir pour des motifs de « sécurité nationale ». Une ordonnance de non-publication frappe les « objets utilisés » par le pilote pour commettre ses trois méfaits, sa « méthodologie » et la « description des structures de transport hydroélectrique affectées ».

De plus, son procès criminel s'est déroulé en grande partie en huis clos au palais de justice de Saint-Jérôme, une procédure exceptionnelle. Les journalistes ont donc dû sortir de la salle d'audience, jeudi, pendant la lecture de la décision. « Ce jugement sera caviardé avec comme résultat malheureux que son raisonnement ne sera pas rendu public », a indiqué le juge Paul Chevalier.

Il est toutefois possible de relater que Normand Dubé a survolé des lignes électriques d'Hydro-Québec à Mirabel, Wentworth et Brownsburg-Chatham, le 4 décembre 2014, entre 15 h 05 et 15 h 31. Il a ensuite agi de manière à provoquer des courts-circuits sur ces lignes, ce qui a causé « l'interruption du transport d'électricité vers la métropole ». Hydro-Québec a été contrainte d'acheter 2000 mégawatts pour assurer la stabilité du réseau et n'a pu vendre 4000 mégawatts.

L'accusé a nié fermement avoir commis ces crimes pendant le procès et a plaidé l'« invraisemblance » et l'« impossibilité » de la théorie de la Couronne. Or, selon la Couronne, Normand Dubé est un pilote d'avion « particulièrement ingénieux » qui a déjà conçu et construit lui-même un avion vendu à une centaine d'exemplaires.

Les experts en aviation ont eu un grand rôle à jouer dans le procès, puisque la preuve de la poursuite était essentiellement circonstancielle. Mais le juge n'a retenu que le témoignage de l'expert de la poursuite. Ce dernier, chef aux opérations en vol au Conseil national de recherches du Canada, a expliqué qu'il était « très possible de faire tomber [...] sur des lignes électriques, et ce, de façon plutôt simple. C'est d'ailleurs une technique connue, employée à plusieurs reprises, notamment en Irak, au Kosovo et en Serbie, et dont le mode d'emploi est facilement accessible sur internet ».

« [IL] A AGI PAR VENGEANCE »

C'est pour une banale histoire de servitude de passage de trois mètres sur le terrain de son entreprise d'aviation que Normand Dubé s'est attaqué à Hydro-Québec en décembre 2014, explique la Couronne. « [Il] a agi par vengeance, par pure méchanceté, en décidant de saboter et de s'attaquer à un bien essentiel à la population et en plein mois de décembre », a plaidé jeudi le procureur de la Couronne, Me Steve Baribeau, pour demander l'incarcération immédiate de l'accusé pour des motifs de confiance du public en l'administration de la justice.

« [Il] a agi de façon malicieuse, pernicieuse, sournoise. » - Me Steve Baribeau, procureur de la Couronne

Le juge Paul Chevalier a toutefois donné raison à l'avocat de la défense, Me Maxime Chevalier, en refusant de détenir dès maintenant Normand Dubé. « Le tribunal ne croit pas que le public verrait sa confiance minée » par cette décision, a expliqué le juge. La défense envisage d'ailleurs « très sérieusement » de faire appel de la décision du juge sur la condamnation, a indiqué Me Chevalier à La Presse.

Le procureur de la poursuite a déjà annoncé à la cour son intention de réclamer l'imposition de la peine maximale de 10 ans pour les chefs de méfait, une demande rarissime. « Ce n'est pas tous les jours qu'on s'attaque à un bien public qui cause 30 millions de dommages. Ça traduit la gravité de l'infraction, et on va s'appuyer notamment sur le saccage de la Baie-James en 1974 pour soutenir ce quantum », a expliqué Me Baribeau, en mêlée de presse. Un des auteurs de ce célèbre saccage avait écopé de 10 ans de pénitencier.

Au sujet du huis clos imposé sur une partie du procès, le procureur a défendu la pertinence de cette mesure d'exception. « C'était d'une importance capitale. La publicité des débats est enchâssée dans notre Constitution, on est bien conscient de ça. On n'a pas fait ça de gaieté de coeur, on a fait ça parce qu'on n'avait pas le choix. C'était vraiment un cas de sécurité nationale », a-t-il justifié.

Les observations sur la peine à imposer auront lieu le 17 octobre. Un cadre d'Hydro-Québec devrait témoigner pour la poursuite.

Normand Dubé n'en a pas fini avec la justice. Il fait face à des accusations entre autres de harcèlement et d'incendie criminel dans une autre affaire pour laquelle il doit subir son procès l'hiver prochain.