Le juré numéro 3 se lève, le visage grave. Tous les regards sont tournés vers lui. « Coupable », répète-t-il à cinq reprises, d'une voix solennelle. Tony Accurso reste imperturbable. Le dirigeant déchu d'un empire québécois de la construction pourrait maintenant se retrouver derrière les barreaux pour avoir pris part pendant 15 ans au système de collusion des contrats publics à la Ville de Laval.

Au terme de sept jours de délibérations, lundi, le jury a reconnu coupable Tony Accurso des cinq chefs d'accusation qui pesaient contre lui : corruption dans les affaires municipales, abus de confiance par un fonctionnaire public, fraude de plus de 5000 $ et complot (deux chefs).

Visiblement ému, le procureur de la Couronne, Me Richard Rougeau, s'est dit « très, très satisfait » par le verdict. « Ça fait cinq ans que l'équipe d'Honorer travaille dans le dossier. C'est évidemment un accomplissement. Ce sont des dossiers difficiles », s'est réjoui Me Rougeau, qui a tenu à saluer le « travail colossal » du jury.

Le procureur n'a donné aucune indication sur la peine qu'il entend demander au juge James Brunton jeudi lors des observations sur la peine. Il a toutefois ajouté que certains coaccusés avaient écopé de peines d'emprisonnement. Rappelons que l'ex-maire de Laval et complice de Tony Accurso dans le système de collusion Gilles Vaillancourt a reçu une peine de six ans de pénitencier.

L'homme de 66 ans a quitté le palais de justice sans s'adresser aux médias, lundi. Son avocat, Me Marc Labelle, a indiqué que le verdict était « très décevant » pour son client. 

« Après avoir présenté sa défense et rendu son témoignage, il se sent comme quelqu'un qui est trouvé coupable de quelque chose où il nie. » - Me Marc Labelle, avocat de Tony Accurso

Me Labelle n'a pas confirmé s'il portera le verdict en appel, puisqu'il entend d'abord se concentrer sur les observations sur la peine. « Ça ne m'appartient pas entièrement. Moi, je fais une recommandation. C'est M. Accurso ensuite qui décide de la suite », a-t-il indiqué. Il maintient toutefois avoir des arguments à présenter si son client allait de l'avant, notamment l'enquête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) sur la jurée à l'origine de l'avortement du premier procès.

« CERISE SUR LE SUNDAE »

Ce verdict est la « cerise sur le sundae » de l'opération Honorer de l'UPAC, a affirmé Me Rougeau. Tony Accurso était le dernier accusé de cette enquête d'envergure sur la collusion et la corruption à Laval sous le règne de Gilles Vaillancourt. Sa condamnation met ainsi un terme à des années d'enquêtes journalistiques et policières, marquées par la commission Charbonneau, mais dont le point d'orgue aura été le verdict du jury lundi.

Malgré l'acquittement de Tony Accurso pour abus de confiance l'hiver dernier à Joliette et le récent acquittement de Frank Zampino dans le scandale du Faubourg Contrecoeur, ce procès n'était pas pour autant un test pour l'UPAC et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), assure Me Rougeau.

« Ce que je déplore souvent, c'est que le résultat fait foi de tout, alors que mes collègues ont fait des procès tout à fait adéquats. De juger de la performance des procureurs par le résultat, c'est un peu limité. Ceci étant, c'est sûr qu'on a rempli nos objectifs dans le dossier Honorer. On les avait en partie remplis avec 27 plaidoyers de culpabilité qui avaient déjà été enregistrés par les accusés. Il s'agissait de clore avec la cerise sur le sundae. », a souligné le procureur, aux côtés de son collègue Me Philippe-Pierre Langevin.

Une « bonne nouvelle », dit le maire de Laval

Le maire de Laval a accueilli le verdict de lundi avec satisfaction. Marc Demers espère que la Ville puisse faire des observations sur la peine, jeudi.

« Reste à savoir comment on va le faire, mais on veut être au rendez-vous pour les représentations sur sentence, non seulement pour le préjudice financier que la Ville a subi, mais aussi pour la réputation de la Ville de Laval. Ces événements-là ont aussi eu des conséquences sur les employés de la Ville, qui se sont sentis trahis et utilisés par les élus et la direction dans tous ces stratagèmes avec M. Accurso, et le climat de travail s'en est trouvé perturbé durant des années. »

Lundi, le juge Brunton ne semblait toutefois pas chaud à l'idée d'entendre un avocat de la Ville de Laval. « Il n'y aura pas de représentations de la Ville de Laval », a conclu sèchement le juge.

La Ville de Laval poursuit elle-même au civil l'ex-entrepreneur Tony Accurso pour la somme de 29 millions de dollars.

« On va poursuivre notre quête pour récupérer les fonds qui ont été détournés pour en récupérer le plus possible, a précisé le maire Demers. Je ne veux pas rentrer dans ces détails-là parce qu'on s'en va devant la cour, mais ça nous enlève un fardeau important concernant la prépondérance de la preuve et ça nous place dans une bonne position pour négocier. »

- Audrey Ruel-Manseau et Louis-Samuel Perron

Des témoins-clés

MARC GENDRON

L'ingénieur Marc Gendron, collecteur de pots-de-vin du maire Vaillancourt pendant des années, a témoigné avoir reçu 200 000 $ en mains propres de Tony Accurso dans un stationnement pour payer la ristourne. « [Il] m'a dit : "Suis-moi." On a marché vers une voiture, il a ouvert la valise et m'a dit : "Prends ça." J'ai ramassé deux enveloppes. Il y avait de l'argent », a-t-il raconté au jury. Même à 86 ans, le témoin a donné moult détails de cette transaction niée par l'accusé.

GILLES THÉBERGE

Ce dirigeant de l'entreprise Sintra a affirmé au jury avoir discuté d'un contrat « collusionné » avec Tony Accurso dans son bureau, en présence du cousin et bras droit de l'accusé, Joe Molluso, président de Louisbourg. Les deux hommes demandaient à Tony Accurso de parler avec le maire Vaillancourt pour dénouer un litige au sujet d'un contrat de 4 millions de dollars promis aux deux entreprises concurrentes. Tony Accurso a témoigné avoir bien eu une brève discussion avec les deux hommes, sans toutefois en comprendre la teneur, comme il était distrait.

MARIO DESROCHERS

Le successeur de Gilles Théberge comme responsable de la collusion chez Sintra, Mario Desrochers, a raconté avoir participé à une rencontre au sommet entre présidents d'entreprises de la construction dans les locaux de Tony Accurso pour discuter de la collusion à Laval et à Montréal. Les participants ont réussi à convaincre Mario Desrochers de demeurer dans le système. Il faisait alors des crises d'angoisse en raison du nombre trop important de participants à la collusion. Tony Accurso a nié qu'une telle rencontre ait eu lieu.

TONY ACCURSO

L'entrepreneur a martelé qu'il n'aurait jamais risqué son empire familial pour obtenir des contrats à Laval représentant à peine 2 ou 3 % de son chiffre d'affaires de 1 milliard de dollars. Ses deux bras droits, Joe Molluso et Frank Minicucci, profitaient d'une grande autonomie, alors qu'il se concentrait sur le financement et le cautionnement de grands projets, a-t-il expliqué. L'homme d'affaires a assuré n'avoir jamais eu connaissance que ses entreprises prenaient part au système de collusion.

Le fil des événements

9 MAI 2013 

Coup de tonnerre : Tony Accurso et une trentaine de personnes, dont l'ex-maire Gilles Vaillancourt, sont arrêtés par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) pour leur implication dans un système de partage des contrats à Laval.

2 SEPTEMBRE 2014 

Pour la première fois depuis son arrestation, Tony Accurso brise le silence. Il témoigne pendant plusieurs jours à la commission Charbonneau, après s'être battu devant les tribunaux pour éviter de le faire.

1er DÉCEMBRE 2016 

Gilles Vaillancourt plaide coupable à des accusations de complot, de fraude et d'abus de confiance à Laval. Il est condamné à six ans de pénitencier et à rembourser 8,5 millions de dollars.

17 NOVEMBRE 2017 

Le premier procès de Tony Accurso sur la collusion à Laval avorte pendant les plaidoiries en raison de la contamination du jury. Une jurée a obtenu des renseignements compromettants de la part de son oncle sur un témoin de la Couronne et en a discuté avec deux jurés.

6 FÉVRIER 2018 

Tony Accurso est acquitté par le jury au terme de son procès pour abus de confiance au palais de justice de Joliette. Il est accusé d'avoir versé des pots-de-vin à l'ex-maire de Mascouche Richard Marcotte pour obtenir des contrats publics.

18 MAI 2018 

Début du second procès pour fraude, complot et corruption de Tony Accurso au palais de justice de Laval.

25 JUIN 2018 

Le jury déclare Tony Accurso coupable de tous les chefs d'accusation après sept jours de délibérations.