L'Unité permanente anticorruption (UPAC) a interrogé les trois jurés et l'homme qui ont provoqué l'avortement du premier procès de Tony Accurso l'an dernier pour faire la lumière sur de possibles gestes criminels. Une enquête qui « attaque de plein front » l'intégrité du système de justice, s'est insurgée la défense dans une « requête en arrêt des procédures » rejetée par le juge James Brunton en avril dernier.

L'existence de cette enquête sur une possible entrave à la justice peut maintenant être dévoilée, puisque le jury du second procès de Tony Accurso a amorcé ses délibérations mardi après-midi au palais de justice de Laval. L'homme d'affaires de 66 ans fait face à cinq chefs d'accusation de complot, de fraude, d'abus de confiance et de corruption dans les affaires municipales pour avoir participé à un système de collusion concernant les contrats publics à Laval de 1996 à 2010.

Le premier procès de Tony Accurso a avorté en novembre dernier avant les plaidoiries de la Couronne. La jurée no 6 avait révélé que son oncle lui avait confié avoir déjà vu une valise d'argent dans le bureau de Marc Gendron, ancien collecteur de pots-de-vin de l'ex-maire Gilles Vaillancourt et témoin clé de la Couronne. Son oncle lui avait également parlé du rôle joué par la « mafia » à Laval. Cette jurée avait évoqué cette discussion auprès de deux autres jurés, ce qui avait obligé le juge Brunton à faire avorter le procès.

L'UPAC aurait réussi à trouver les trois jurés « contaminés » et l'oncle de la jurée nº 6 en consultant des bases de données, après avoir essuyé un refus du juge Brunton et du shérif pour obtenir leurs coordonnées.

Un juré n'a pas le droit de parler des délibérations du jury, sous peine d'accusations criminelles, sauf dans le cadre d'une enquête sur une possible entrave à la justice relativement à un juré. L'identité des jurés demeure secrète pendant et après le procès.

« L'État a décidé d'envoyer des policiers questionner trois jurés relativement à un crime inexistant car il est indiscutable que l'avortement du procès a été décrété dans des circonstances qui ne recelaient aucune malversation », déplore Me Marc Labelle dans une requête en arrêt des procédures portant sur « le comportement abusif et illégal de l'État » déposée le 23 avril dernier, un mois avant le début du second procès.

L'enquête d'au moins un mois de l'UPAC a permis au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de découvrir ce que la « jurée no 6 pense de la façon dont ses avocats ont mené le procès », soutient Me Labelle. La Couronne a même « cach[é] » à la défense ce qu'elle a appris aux « interrogatoires des autres jurés », ajoute-t-il.

« OPACITÉ QUASI COMPLÈTE »

Dans sa requête, Me Labelle dénonce l'« opacité quasi complète » de la Couronne, qui aurait tenté de « couvrir un comportement hautement répréhensible » en ne dévoilant pas à la défense l'entièreté de la preuve de cette enquête.

Une véritable « partie de pêche » de la défense, réplique la Couronne dans sa réponse à la requête initiale. Une partie de l'enquête portant sur la jurée no 6 n'a « aucune pertinence » pour la défense, en plus d'être visée par le secret des délibérations, maintient la poursuite.

L'avocat de M. Accurso soulève aussi une série de questions touchant l'équité du second procès et la confiance du public dans l'administration de la justice.

« Quel agent de l'État a bien pu décider que ce serait le Service des enquêtes sur la corruption du Québec qui mènerait une enquête SUR DES JURÉS en plein procès ? Quel agent de l'État a bien pu décider qu'il y avait "de possibles infractions d'entrave à la justice visant la jurée no 6" ? », lit-on dans la requête.

Précisons que les procureurs de la Couronne du procès, Me Richard Rougeau et Me Philippe-Pierre Langevin, ne sont pas intervenus dans la requête en arrêt des procédures. Ils n'étaient même pas présents lorsque le juge a rejeté la requête séance tenante. Le dossier a été géré par d'autres procureurs du DPCP. Ni l'UPAC ni le DPCP n'ont désiré commenter l'affaire, mardi.

Une autre décision du juge Brunton n'a jamais été présentée au jury pendant le procès. Les jurés ignorent que la Couronne n'avait pas le droit de prouver que Tony Accurso avait participé à un complot lié à la fixation des prix de l'asphalte sur le territoire de Montréal et au partage du marché pour la vente en vrac de l'asphalte à Montréal.

Les délibérations du jury reprennent mercredi matin et se poursuivront tous les jours jusqu'à ce qu'un verdict unanime soit rendu.