Un ex-dirigeant d'une entreprise de pavage admet avoir remis un quart de million de dollars en argent comptant à un collecteur de fonds de l'administration Vaillancourt pour payer la ristourne de 2% sur les contrats publics truqués à Laval entre 2005 et 2006.

« J'ai fait deux grosses remises de 100 000 $ et plus en coupures de 100$ », a raconté l'ingénieur Nicolas Théberge vendredi au procès pour fraude, complot et corruption dans les affaires municipales de Tony Accurso qui s'est amorcé la semaine dernière au palais de justice de Laval.

L'argent comptant se fait pourtant rare à son arrivée à la direction régionale de Sintra à l'été 2005 pour remplacer Mario Desrochers. Mais le jeune dirigeant obtient rapidement une entente de fausses facturations avec un sous-traitant. Le procédé est simple : il remplit des bons de commande fictifs de transports de camion et obtient 80% du montant en argent comptant.

« Je me mettais à accumuler de l'argent et à accumuler de l'argent », relate-t-il. Néanmoins, il trouve « excessivement difficile » de gérer cette collusion, dont il ignorait les rouages jusqu'alors.

Vers la fin de 2006, l'entreprise Sintra est sur le point d'être vendue. Or, il y a un excédent de ristourne de 46 000 $. L'ingénieur décide de n'en remettre que 3 000 $ à son grand patron et de s'en mettre 20 000 $ dans les poches, ni vu ni connu. Un montant vite dépensé dans des dépenses courantes, comme l'épicerie, dit-il.

Nicolas Théberge donne toutefois l'autre moitié du magot à la contrôleuse de Sintra, Julie Bazinet - la conjointe du témoin Mario Desrochers - pour acheter son silence. « Elle savait que j'avais fait de fausses facturations. En lui donnant de l'argent, je la corrompais, je savais qu'elle ne parlerait pas », a expliqué le témoin en contre-interrogatoire.

Mécontent de ne pas toucher sa part du gâteau des contrats publics truqués, Nicolas Théberge décide en 2005 de rompre les rangs pour remporter un contrat sans collusion. « Le but était de faire ma marque : dire 'j'existe' », a raconté Nicolas Théberge.

Or, l'entreprise de pavage Sintra n'a jamais pu réaliser ce contrat, dont la soumission était 100 000 $ sous le prix estimé par la Ville. « J'avais pas l'argent pour faire les travaux et les travaux ont été annulés », a expliqué le témoin collaborateur de la poursuite qui n'a jamais été arrêté dans le cadre de cette affaire. Son contre-interrogatoire se poursuit lundi.

Un témoin admet avoir menti à la commission Charbonneau

Le prédécesseur de Nicolas Théberge, Mario Desrochers, a admis vendredi matin avoir menti à un procureur de la commission Charbonneau sous les conseils de ses avocats en 2012. L'ex-directeur de Sintra de 2000 à 2005 avait reçu en octobre 2012 une demande de production de documents de la part de Me Claude Chartrand, procureur de la commission.

Dans ce document, Mario Desrochers a déclaré au procureur ne pas connaître le nom des collecteurs de fonds de l'ancien maire de Laval Gilles Vaillancourt. Or, il a omis d'écrire les noms de Marc Gendron et Roger Desbois, d'après les conseils des avocats de Sintra, a-t-il fini par admettre dans un contre-interrogatoire serré. Il n'a finalement jamais été appelé à témoigner devant la juge Charbonneau.

« Ils m'ont dit d'attendre avant de nommer des noms. Si [la Commission] m'était revenu pour avoir d'autres informations, ça serait sorti. [...] Si [le procureur] avait voulu aller plus loin, j'aurais été convoqué à la commission Charbonneau », s'est expliqué Mario Desrochers. Il se défend toutefois d'avoir menti en indiquant à la commission qu'il ignorait les montants remis aux collecteurs et les dates de ces paiements. 

« Vous ne vouliez pas y aller [à la commission], alors vous avez dit un paquet de mensonges ? Est-ce que c'est ça la réalité ? », a lancé Me Marc Labelle, l'avocat de Tony Accurso. « Du tout ! Ah ! Il y en a en masse qui y sont passés. Il s'est dit toute sorte de choses, j'aurais été capable de faire pareil », a rétorqué Mario Desrochers.

Les nombreux entrepreneurs qui prenaient part au système de collusion à Laval devaient remettre à Marc Gendron ou à Roger Desbois une ristourne de 2 % sur la valeur des contrats publics truqués pour le compte de l'administration Vaillancourt, ont témoigné Mario Desrochers et le premier témoin de la poursuite, Gilles Théberge, un ex-dirigeant de Sintra.

Rencontre au sommet: le témoin maintient sa version

Comme la veille, Me Labelle s'est étonné que Mario Desrochers n'ait jamais mentionné auparavant une rencontre au sommet sur la collusion entre des présidents d'entreprises de construction de Montréal et Laval qui se serait déroulée dans les bureaux de Tony Accurso.

« C'est pas arrivé ! Ça se peut ? », s'est exclamé l'avocat de la défense. « C'est arrivé », a répliqué le témoin, qui n'avait pas fait cette révélation au premier procès de Tony Accurso, l'automne dernier. Comme il avait associé cette rencontre à « Montréal », il n'avait pas pensé qu'elle était pertinente pour Laval, s'est-il expliqué.

Jeudi, l'ex-directeur de Sintra a expliqué avoir fait une crise d'angoisse en 2002, alors qu'il ne supportait plus de contacter des dizaines de personnes pour gérer les contrats truqués. Ainsi, un entrepreneur montréalais, Nick Milioto a joué au « modérateur » pendant une rencontre d'une heure dans les bureaux de Louisbourg de Tony Accurso pour le convaincre de rester dans le système de collusion. Plusieurs « présidents d'entreprise », dont Frank et Tony Catania et Mike Mergl étaient présents à cette rencontre, dont Tony Accurso. Le témoin ne se souvient toutefois pas des propos prononcés par l'accusé.

Le jury a appris jeudi que Mario Desrochers avait plaidé coupable à des accusations de vol et de corruption l'été dernier. L'homme de 61 ans purge toujours une peine d'emprisonnement d'un an dans la collectivité. Il n'est toutefois pas un témoin collaborateur, comme Gilles Théberge qui a obtenu l'immunité de l'État pour son témoignage.

Encore ce matin, Mario Desrochers a martelé que sa conjointe de longue date, contrôleuse chez Sintra, n'a jamais été au courant de la ristourne de 2 %, même si elle était une des signataires de l'entreprise. Le témoin a nié avoir échangé son témoignage aux policiers pour protéger sa conjointe d'éventuelles accusations.

Tony Accurso, de son vrai nom Antonio Accurso, fait face à cinq chefs d'accusation de complot, de fraude de plus de 5000 $, d'abus de confiance par un fonctionnaire public et d'actes de corruption dans les affaires municipales.

L'homme de 66 aurait comploté avec une soixantaine de personnes, dont l'ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt, pour commettre des actes de corruption dans les affaires municipales et pour commettre des fraudes. Ses crimes se seraient produits entre le 1er janvier 1996 et le 30 septembre 2010 à Laval.

La thèse de la Couronne est que la corruption et la collusion étaient « endémiques » à Laval sous le règne du maire Gilles Vaillancourt, et que Tony Accurso y a participé activement, au détriment des contribuables.

« Nous établirons que cet immense système frauduleux bien rodé auquel a participé directement et indirectement l'accusé Accurso au profit de ses entreprises était dirigé et contrôlé par l'administration municipale de Laval », a affirmé la semaine dernière le procureur de la Couronne, Me Richard Rougeau, dans son exposé introductif.