Le système bien huilé de collusion à la Ville de Laval s'est enrayé pour une rare fois en 2005, lorsque l'administration Vaillancourt a promis le même contrat de quatre millions de dollars à deux entreprises. L'homme d'affaires Tony Accurso a alors joué les médiateurs pour tenter de trancher le litige, a affirmé mardi Gilles Théberge au procès pour fraude, corruption et complot de M. Accurso.

« Tony va s'en occuper », a lancé Joe Molluso, « bras droit » de Tony Accurso, à Gilles Théberge lors d'une rencontre exceptionnelle dans le bureau de l'accusé chez Louisbourg Constructions. « Tony va aller voir le maire [Vaillancourt] », a même ajouté Joe Molluso, a assuré le témoin, ancien directeur de l'entreprise d'asphaltage Sintra et de l'entreprise Valmont Nadon Excavation.

Dans les années 90 et 2000, tous les contrats étaient partagés sans pépin entre une poignée d'entreprises « collusionnaires » en échange d'une ristourne de 2 % remise à la Ville de Laval et d'une marge de profits d'environ 30 %, a témoigné Gilles Théberge. Or, cette fois-ci, les entreprises Valmont Nadon et Louisbourg avaient toutes deux été désignées gagnantes par la Ville, à la surprise de chacun, pour l'obtention d'un lucratif contrat pour l'installation d'un collecteur d'égout pluvial.

Dans l'impasse, Joe Molluso et Gilles Théberge se sont rendus dans le bureau de Tony Accurso. « M. Molluso a exprimé sa position à Tony et j'ai expliqué ma position. Je lui ai dit qu'on était les deux sur le même projet que le maire avait promis », a affirmé Gilles Théberge.

Selon le témoin, Tony Accurso a ensuite « fait ses doléances » auprès du maire de Laval Gilles Vaillancourt. La Ville a ensuite retardé l'appel d'offres de 15 jours pour donner aux deux entreprises du temps pour s'entendre. Or, il n'y a aucune entente et l'appel d'offres a finalement été « libre pour tous ».

Pas de « libre concurrence »

En contre-interrogatoire, l'avocat de l'accusé, Me Marc Labelle, a remis en question la véracité de ce récit de la rencontre entre Tony Accurso et Gilles Vaillancourt. 

« Je ne suppose pas. Je suis sûr que M. Accurso a rencontré le maire. On n'a pas trouvé de terrain d'entente... Mais la vie a continué et la collusion a continué », a répondu Gilles Théberge.

À deux exceptions près, M. Théberge n'a jamais fait de « soumission en libre concurrence » à Laval. « Soit qu'on était le soi-disant plus bas soumissionnaire ou que c'était une soumission de complaisance, et c'est moi qui les ai préparées », a-t-il affirmé.

Immunité du témoin

Comme vendredi, au premier jour du procès, le témoin a détaillé les rouages du système de collusion à l'époque à Laval. « Au nord, au sud, de l'est à l'ouest, tout était "collusionné" », a imagé le témoin collaborateur de la poursuite. En 2014, il a obtenu l'immunité de l'État en échange de sa collaboration avec les autorités, a appris le jury.

Le témoin a brièvement évoqué un cadeau offert par son entreprise au directeur général de la Ville de Laval à l'époque, Claude Asselin. L'entreprise Valmont Nadon Excavation avait fourni l'équivalent de 80 000 à 100 000 $ en travaux d'aménagements sur sa maison du quartier Sainte-Dorothée, a témoigné Gilles Théberge. « On a fait l'empierrement à l'arrière de sa maison avec d'immenses roches. On a embauché une paysagiste pour la plantation d'arbres, le pavé uni », a-t-il expliqué.

La thèse de la Couronne est que la corruption et la collusion étaient « endémiques » à Laval sous le règne du maire Gilles Vaillancourt, et que Tony Accurso y a participé activement. Le contre-interrogatoire de M. Théberge se poursuit ce matin.