Un cédérom contenant des dizaines de courriels de Marc-Yvan Côté qui ont plus tard fait l'objet d'une fuite dans un reportage à la télévision a mystérieusement disparu d'un classeur de l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

C'est ce qui ressort du témoignage d'un enquêteur principal au dossier Joug. La comparution de Mathieu Venne, qui a duré deux bonnes heures hier au palais de justice de Québec, a permis d'en apprendre davantage sur le climat à l'UPAC, où les fuites se sont multipliées avant que la direction ne serre la vis.

L'enquêteur a été appelé à la barre par les avocats de la défense dans le procès de Nathalie Normandeau et de Marc-Yvan Côté. Ceux-ci le considèrent comme « un suspect sérieux » des fuites, ce que le principal intéressé nie vigoureusement.

La défense argue que les reportages des médias avec des informations privilégiées constituent une atteinte au système judiciaire qui justifie un arrêt du processus.

Mathieu Venne travaille sur le projet Joug depuis 2011. En janvier 2015, il a appris qu'un volet de l'enquête, celui portant sur l'ancien ministre libéral Sam Hamad, allait lui être retiré. « Ça devenait trop gros », a-t-il expliqué, et ses patrons ont décidé d'en faire un projet à part.

L'enquêteur s'est opposé à cette décision, lui a fait dire la défense. Il assure s'être finalement rangé derrière le choix de ses supérieurs. Il a donc remis la preuve concernant Sam Hamad à deux endroits : sur un serveur de l'UPAC et sur un cédérom, qu'il a donné à un lieutenant, le 27 janvier 2015.

Puis, coup de théâtre : le 31 mars 2016, Radio-Canada diffuse un reportage intitulé « Notre ami Sam », qui reprend des courriels contenus dans le dossier d'enquête. Venne est en voiture ce jour-là quand il apprend à la radio que le reportage sera diffusé en soirée.

PHOTO ERICK LABBE, LE SOLEIL

Lino Zambito

Après une multiplication des fuites à l'UPAC, la Sûreté du Québec (SQ) est chargée en 2017 d'enquêter. Le sergent Michel Comeau demande de rencontrer Mathieu Venne en mai dernier.

Celui-ci commence à se préparer pour la rencontre. Il va d'abord voir dans le serveur si les documents d'enquête sont toujours là, intacts. Il se rend compte que « quelqu'un » a accédé au dossier qui lui avait été retiré en utilisant son mot de passe et son jeton personnel à 23 h 20, le 18 août 2015.

À ce jour, il affirme qu'il ne peut identifier qui a accédé au dossier, mais il jure que ce n'est pas lui. « Je n'ai jamais dérobé de documents, je n'ai jamais fait filtrer quoi que ce soit dans les médias », a martelé M. Venne hier, tenant à préciser qu'il avait discuté avec la SQ mais n'avait pas été interrogé. « J'étais témoin, pas suspect », dit-il.

Il a aussi tenté de retrouver le fameux cédérom où il avait copié le dossier. « Avant ma rencontre avec Comeau, je voulais me préparer. Je suis allé voir dans la filière des dossiers, et le CD n'était plus là. Il n'est plus là. »

La défense a aussi tenté de démontrer que la direction de l'UPAC avait pris les fuites à la légère. En effet, selon le témoignage de M. Venne, ce n'est qu'en mai 2017 que les patrons ont décidé de « resserrer l'accès aux dossiers ». Selon une liste dressée par la défense, il y avait eu huit fuites susceptibles de provenir de l'UPAC avant cette date.

GUY OUELLETTE TÉMOIGNE AUJOURD'HUI

L'enquêteur Mathieu Venne a expliqué qu'il n'avait aucune idée qui pouvait être l'auteur des fuites avant le 25 octobre dernier. C'est à cette date que l'UPAC a procédé à l'arrestation du député de Chomedey, Guy Ouellette. La même journée, elle a fait des perquisitions chez Richard Despaties, ex-policier de l'UPAC, et Stéphane Bonhomme, de la SQ.

Les trois sont soupçonnés par l'UPAC d'avoir orchestré des fuites. Ils seront entendus par la Cour aujourd'hui. L'avocat de Guy Ouellette a confirmé à La Presse que son client allait témoigner.

Les avocats de Marc-Yvan Côté, Nathalie Normandeau et consorts veulent ensuite appeler deux journalistes à témoigner demain, soit Marie-Maude Denis, de Radio-Canada, et Louis Lacroix, de Cogeco.

Ils sont susceptibles, selon la défense, d'avoir parlé avec la source des fuites. Les avocats ont l'intention de présenter aux journalistes de brefs extraits des témoignages de Mathieu Venne, Lino Zambito, Guy Ouellette, Richard Despatie ou Stéphane Bonhomme afin de leur demander « s'ils reconnaissent une voix ».

Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et leurs quatre coaccusés font face à des accusations de fraude, complot, abus de confiance et corruption. Leur procès doit commencer le 9 avril, à moins que le juge André Perreault n'accède à l'une des requêtes en arrêt du processus judiciaire qu'il entend en ce moment.

- Avec Tommy Chouinard, La Presse

L'arrestation de Normandeau devancée, selon Zambito

L'ancien entrepreneur en construction Lino Zambito est convaincu que l'arrestation de Nathalie Normandeau en mars 2016 a été précipitée par l'UPAC pour permettre à Robert Lafrenière de sauver son poste. « C'était un calcul de Lafrenière. Il a mis à genoux les libéraux. J'aurais mal perçu qu'on arrête Normandeau et que le lendemain on mette Lafrenière à la porte. C'est ma vision des choses », a déclaré hier M. Zambito dans le cadre du procès des Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et consorts. L'ancien témoin vedette de la commission Charbonneau affirme avoir appris du député Guy Ouellette que Lafrenière allait être remplacé sous peu par Denis Gallant, ancien procureur de la commission Charbonneau. M. Gallant était notamment le favori du ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, toujours selon M. Zambito. « Denis Gallant était sur la short list pour être commissaire de l'UPAC, j'avais cette information. Mais c'est l'arrestation [de Nathalie Normandeau] qui a renversé les choses. Ça, c'est ma vision des choses. »