Le verdict est tombé, plus de quatre ans après la tragédie ferroviaire qui a bouleversé le Québec: Thomas Harding, Richard Labrie et Jean Demaître ont été acquittés par le jury au terme du procès criminel portant sur le déraillement de train qui a fait 47 morts le 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic.

Les verdicts unanimes ont été prononcés vendredi lors de la neuvième journée de délibérations.

Plus de trois mois après le début de leur procès criminel, les trois hommes ont finalement été fixés sur leur sort.

L'un des membres du jury s'est levé vers 14 h 30 et a déclaré doucement, impassible: «non coupable» après chacune des accusations lues dans la salle de cour numéro un du palais de justice de Sherbrooke.

Les trois ex-employés de l'entreprise ferroviaire Montreal Maine and Atlantic (MMA) avaient été accusés de négligence criminelle.

Le chef de train Thomas Harding, le contrôleur ferroviaire Richard Labrie et le directeur des opérations de la MMA au Québec, Jean Demaître, avaient tous trois plaidé non coupable.

Devant la salle de cour où il a passé les quatre derniers mois de sa vie, Richard Labrie s'est adressé aux gens de Lac-Mégantic, les larmes aux yeux.

«Aux 47 victimes et à tous les gens de Mégantic: j'espère que vous avez eu les réponses que vous demandiez avec ce procès-là», a-t-il dit, s'essuyant les yeux en lisant un mot qu'il avait rédigé à l'avance.

«Je n'ai jamais parlé, mais j'ai toujours pensé à vous», a-t-il ajouté.

«Je voudrais dire, avec ce qu'ils ont eu, ils nous ont montré beaucoup de courage, beaucoup d'entraide et beaucoup de résilience, et je les remercie beaucoup», a-t-il dit aux gens de Lac-Mégantic.

«Ça a été dur, ça a été long, mais maintenant c'est terminé.»

Thomas Harding n'a pas été capable de parler aux médias après avoir entendu le verdict qui l'a déclaré non coupable. L'un de ses avocats, Thomas Walsh, a dit que sa voix était étranglée par l'émotion et qu'il était trop bouleversé.

«Mais je pense qu'il se sent libéré. Ça fait quatre ans et demi qu'il porte ça sur ses épaules.»

«Ça a été long, mais cela nous prouve encore une fois la force de nos institutions démocratiques», a dit Me Walsh. Et si certains ont remis en question les procès par jury, pas lui: «vous avez ici la preuve de sa valeur et de son importance dans le système», juge-t-il.

Me Walsh croit toujours que ce procès n'aurait jamais dû avoir lieu, une critique qu'il a formulée à plusieurs reprises au cours des procédures. Selon lui, une commission d'enquête aurait été plus appropriée et aurait plus servi l'intérêt public que de s'acharner sur les trois employés.

Quant à Jean Demaître, il semblait sous le choc en sortant de la salle de cour. Une femme a éclaté en sanglots quand les deux mots «non coupable» ont été prononcés.

«C'est sûr que je suis content», a dit M. Demaître, semblant avoir la gorge serrée. Il a laissé son avocat répondre aux questions.

Pour la Couronne, les verdicts étaient plus difficiles à encaisser.

«Vous comprenez que ce n'est pas nécessairement la décision que l'on attendait, a déclaré l'une des procureurs de la Couronne, Véronique Beauchamp. Mais nous respectons les verdicts qui ont été rendus.»

Interrogée à savoir si la Couronne allait en appeler des verdicts, Me Beauchamp a rétorqué qu'il était trop tôt pour avoir réfléchi à cette question. Elle a ajouté que l'accusation de négligence criminelle est effectivement difficile à prouver.

Le jury avait aussi eu la possibilité de déclarer Thomas Harding coupable de conduite dangereuse d'un équipement ferroviaire causant la mort, ou encore de conduite dangereuse d'un équipement ferroviaire, deux infractions moindres, et incluses dans la négligence criminelle. Mais les huit hommes et quatre femmes du jury l'ont aussi reconnu non coupable de ces chefs.

Les accusations avaient été portées après qu'un train de 72 wagons de pétrole brut stationné en haut d'une pente s'est mis en branle de lui-même, prenant de la vitesse et déraillant au petit matin le 6 juillet 2013. Il a explosé et enflammé le centre-ville de Lac-Mégantic, tuant 47 personnes sur son passage.

S'ils avaient été reconnus coupables, les trois hommes risquaient la prison à vie

Jean Clusiault, le père de l'une des victimes, Kathy Clusiault, s'est dit satisfait du verdict.

«Ce n'est pas les bonnes personnes qui étaient accusées. Le jury a rendu le bon verdict», a-t-il dit.

L'homme qui a suivi de près le procès estime que ce sont les dirigeants américains de la MMA qui auraient dû être au banc des accusés.

Quant à savoir s'il pourra tourner une page, maintenant que le verdict est rendu, l'homme a répondu: «ma fille sera toujours présente dans ma tête».

Dans ce corridor du palais de justice qu'il a arpenté depuis des mois, il a serré dans ses bras Richard Labrie.

Il avait été reproché au chef de train Thomas Harding de ne pas avoir appliqué assez de freins à main pour immobiliser le train et le retenir en haut de la pente, et aussi, de ne pas les avoir testés avant de laisser le train sans surveillance pour la nuit.

Quant à Richard Labrie et à Jean Demaître, il leur était reproché de ne pas avoir posé de questions pour s'assurer que le train était bien sécurisé et immobilisé après avoir été informés qu'un incendie s'était déclenché la veille du drame dans la locomotive de tête et que les pompiers avaient éteint son moteur, ce qui avait désactivé les freins à air.

Les deux hommes avaient notamment plaidé qu'ils étaient en droit de se fier à M. Harding et de penser qu'il avait fait son travail comme il faut.

Quant au chef de train, ses avocats avaient fait valoir que ses actions ce soir-là n'étaient peut-être pas parfaites mais qu'elles étaient néanmoins raisonnables et qu'il avait offert de retourner vérifier le train après avoir été informé de l'incendie.

Le procès avait débuté le 2 octobre dernier et le jury avait commencé à délibérer le 11 janvier.

Les accusés n'avaient pas témoigné à leur procès ni appelé de témoins à la barre, une stratégie parfois utilisée lorsque la défense considère que la preuve de la Couronne n'est pas solide ni convaincante.

La Couronne avait de son côté fait témoigner 31 personnes, dont un expert en sécurité ferroviaire. Celui-ci avait déclaré à la Cour que Thomas Harding n'avait appliqué que sept freins à main alors que le double, 14, aurait été requis pour retenir le train en haut de la pente.