En raison d'une conversation téléphonique lors de laquelle il n'aurait pas assez posé de questions, selon la Couronne, la vie de Jean Demaître a basculé et il s'est retrouvé accusé de négligence criminelle ayant causé la mort de 47 personnes dans la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, a plaidé jeudi son avocat, qui juge que la Couronne n'a pas fait la preuve de sa culpabilité.

Me Gaétan Bourassa a plaidé toute la journée de jeudi, au palais de justice de Sherbrooke, devant le jury et le juge Gaétan Dumas de la Cour supérieure.

D'entrée de jeu, l'avocat a fait valoir qu'il s'agit ici du procès de Jean Demaître, qui était directeur de l'exploitation de la Montreal Maine and Atlantic (MMA) au Québec, et non pas du procès de cette entreprise ferroviaire, qui a été fort critiquée par la population en raison de la tragédie qui a coûté la vie à 47 résidants de cette petite ville de l'Estrie.

«N'associez pas Jean Demaître à la compagnie, il y a une distinction monstre entre les deux», a-t-il dit.

Jean Demaître, le chef de train et mécanicien Thomas Harding et le contrôleur ferroviaire Richard Labrie sont accusés de négligence criminelle causant la mort. Ils ont plaidé non coupable.

Me Bourassa a tenté dissocier son client des actes reprochés aux deux autres accusés.

La chaîne de sécurité mise en place pour les trains s'est peut-être fissurée ce jour-là, mais Jean Demaître n'était «que le troisième et dernier maillon de cette chaîne», a-t-il illustré.

Il a plaidé que le bris de la chaîne de sécurité s'était produit au premier niveau. Cela semblait viser le chef du train - qu'il n'a toutefois pas nommé - Thomas Harding, qui était responsable d'appliquer les freins sur le convoi et de les tester.

Témoignage d'un expert

À ce sujet, l'avocat a retenu le témoignage de l'expert ferroviaire Stephen Callaghan - un témoin de la Couronne -, qui a dit au jury que si un nombre suffisant de freins à main avaient été appliqués et s'ils avaient été testés lors de l'immobilisation du train, la tragédie de Lac-Mégantic ne serait pas survenue.

Et Jean Demaître n'a pas eu de conversations téléphoniques ni de contacts avec M. Harding la veille de l'accident.

M. Demaître, appelé en soirée la veille par Richard Labrie au sujet d'un incendie dans l'une des locomotives du convoi, n'avait pas à poser une foule de questions pour savoir si le train avait suffisamment été sécurisé et si assez de freins avaient été appliqués, comme lui reproche la Couronne, a détaillé Me Bourassa. Le jury a pu entendre toutes ces conversations qui avaient été enregistrées.

Il n'avait pas de soupçons que le train n'était pas sécurisé: on l'appelait pour un feu de locomotive, a répété son avocat à de nombreuses reprises.

«Il n'y a pas de lien entre les deux.»

De plus, dès qu'il a été informé de l'incendie, il a dit à M. Labrie d'envoyer quelqu'un sur place au plus vite.

«Sa première réaction, c'est la sécurité des personnes qui entre en ligne de compte», a fait valoir l'avocat.

Sans nouvelles de M. Labrie qui lui avait promis de le rappeler, M. Demaître l'a lui-même contacté 30 minutes plus tard pour être mis à jour sur la situation, passé minuit.

On est loin d'un homme négligent, a lancé Me Bourassa.

Et puis il était en droit de se fier au travail de ses collègues expérimentés, MM. Labrie et Harding, qu'il connaît depuis des années, a-t-il argué.

Il a dit aux 14 jurés qu'ils allaient devoir déterminer s'il y a un lien entre son omission de poser des questions et la mort de 47 personnes.

Décisions prises aux États-Unis

Pour sa défense, il a également dit que Jean Demaître ne participait pas aux décisions de la direction sur la sécurité: elles étaient prises aux États-Unis, par la compagnie mère de la MMA.

Le procureur a aussi tenu à éviter une mauvaise interprétation de la part du jury sur cette déclaration faite par M. Demaître au contrôleur Richard Labrie au téléphone, après que ce dernier lui eut appris le déraillement du convoi de pétrole brut: «On est dans la marde tabarnak!».

Me Bourassa a insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une admission de responsabilité.

Suggérant d'autres interprétations au jury, il a parlé des craintes de perdre son emploi ou d'avoir des comptes à rendre pour la perte d'un train dispendieux. Les deux hommes ignoraient qu'il y avait eu des morts à ce moment.

Les accusations contre les trois anciens employés de la MMA ont été portées après qu'un train de 72 wagons transportant du pétrole brut, laissé sans surveillance, eut dévalé la pente où il avait été mis à l'arrêt pour la nuit. Il a déraillé et explosé, rasant une partie du centre-ville de Lac-Mégantic et faisant de nombreuses victimes sur son passage.

L'avocat de Richard Labrie, Guy Poupart, va plaider dès vendredi matin. Ce sera ensuite au tour de l'avocat de Thomas Harding.