Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali sont tombés dans les bras l'un de l'autre dans le hall presque désert du palais de justice de Montréal où ils ont été libérés.

Il était passé 19h, et leurs familles n'en pouvaient plus d'attendre.

Sabrine est sortie la première, accueillie par des cris et des pleurs, suivie quelques minutes plus tard d'El Mahdi. Le jeune homme a soulevé sa copine, en larmes, avant de lui couvrir le visage et les cheveux de baisers.

Puis, entourés de leurs proches, c'est main dans la main que les amoureux sont sortis de l'édifice dans la noirceur de décembre pour se frayer un chemin entre les caméras jusqu'aux voitures qui devaient les ramener chacun chez leurs parents. Ils n'y ont pas mis les pieds depuis leur arrestation, il y a deux ans et demi.

« Ils sont très, très contents », a glissé l'avocat du jeune homme, Me Tiago Murias qui, comme son collègue Charles Benmouyal, l'avocat de la jeune femme, avait attendu la libération de son client en compagnie de sa famille pour le serrer dans ses bras.

« Je pense qu'ils auront besoin de temps pour réfléchir à tout ça et j'espère qu'ils en sortiront plus forts. Ils s'aiment toujours. Ils ont un avenir ensemble, et c'est sur ça qu'ils vont mettre leurs efforts », a dit Me Charles Benmouyal, avocat de Sabrine Djermane.

UN VERDICT INATTENDU

Quelques heures plus tôt, la présidente du jury avait prononcé le verdict dans une salle bondée et fébrile au terme de plus de trois mois de procès et cinq jours de délibérations.

Les mots « non coupable », prononcés six fois, ont été accueillis dans un silence total.

Malgré la surprise, les jeunes accusés ont réussi à garder un visage de marbre. Le juge Marc David avait demandé aux gens présents - des policiers, des journalistes, des avocats, des employés du palais de justice et même des juges, curieux - de ne pas réagir à la décision des jurés.

Sabrine, ses longs cheveux bouclés encadrant son visage, et El Mahdi, le regard sérieux, se sont levés pour entendre leur sort.

Les avocats de la défense ont plus tard raconté que les amoureux avaient vécu beaucoup d'émotions une fois qu'ils ont été escortés hors de la salle d'audience jusque dans les cellules du palais de justice - ils n'ont été libérés qu'en fin de journée. « Il y a eu des larmes et peu de mots », a dit Me Benmouyal, ajoutant que pour sa cliente, il s'agit du « plus beau des scénarios ».

Sabrine Djermane est acquittée de tous les chefs, soit d'avoir tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l'étranger, d'avoir eu en sa possession une substance explosive dans un dessein dangereux et d'avoir commis un acte au profit ou sous la direction d'un groupe terroriste, soit le groupe armé État islamique.

El Mahdi Jamali est blanchi de tous les chefs d'accusation liés au terrorisme. Il est toutefois reconnu coupable d'un chef réduit de possession d'une substance explosive (en l'occurrence des ingrédients pouvant servir à fabriquer une bombe artisanale) sans excuse légitime, une accusation moindre liée au chef plus grave duquel il était accusé.

La peine maximale est de cinq ans de pénitencier. Comme l'ex-cégépien a déjà passé plus de deux ans et demi derrière les barreaux, le juge a conclu que la peine était purgée et a ordonné la libération des deux accusés. 

Selon la preuve entendue, le jury n'a pas pu conclure hors de tout doute raisonnable que le couple voulait se rendre en Syrie pour faire le djihad ou qu'il souhaitait construire une bombe au Canada au profit d'un groupe terroriste. 

« C'EST DU DROIT NOUVEAU »

À leur sortie de la salle, les avocats des jeunes gens paraissaient quelque peu sonnés par le verdict. Les familles, elles, n'ont pas cherché à cacher leur joie. Lorsqu'il a aperçu l'avocat de son fils dans le couloir attenant à la salle d'audience, le père d'El Mahdi, qui a assisté à presque tout le procès, a ouvert grand les bras et l'a enlacé en riant. « On est très satisfaits », a soufflé sa mère.

« L'heure n'est pas aux bilans », a dit Me Benmouyal, questionné sur le poids jurisprudentiel de la décision. « C'est du droit nouveau. Des gens qui sont allés en Syrie vont commencer à revenir au Canada. On ne sait pas comment l'État va réagir. »

Selon la défense, le fait que la preuve présentée au jury par la Couronne tout au long du procès ait été largement circonstancielle a eu un impact majeur. 

« Le jury a fait la différence entre la curiosité et le terrorisme », a dit Me Tiago Murias, avocat d'El Mahdi Jamali

« Ce n'est pas illégal de consulter des articles sur La Presse ou Radio-Canada », dit-il, faisant référence au fait que plusieurs photos à saveur djihadiste trouvées dans les appareils des jeunes Montréalais provenaient de sites de nouvelles.

DES CONDITIONS À RESPECTER

Bien qu'il sorte presque blanchi, le couple ne recouvre pas une liberté totale.

Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali ont été arrêtés en avril 2015 en vertu de l'article 810 du Code criminel, qui permet d'amener un individu devant un juge pour lui imposer une série de conditions lorsque les autorités ont des raisons de croire qu'il commettra un crime. Les jeunes ont été accusés de terrorisme quelques jours plus tard et le dossier de l'article 810 n'a jamais été traité à la cour. Cela dit, il existe toujours.

Les anciens élèves ont donc été libérés avec une série de conditions en attendant que l'affaire soit débattue sur le fond devant un juge, en janvier. Ils doivent notamment vivre chez leurs parents et se rapporter chaque semaine à un poste de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Ils n'ont pas le droit de demander un passeport. Ils ne peuvent pas quitter le Québec, ni utiliser les réseaux sociaux ou consulter du matériel faisant la promotion du terrorisme. On leur interdit d'entrer en contact avec certains individus, parfois des témoins de la Couronne, d'autres fois des personnes d'intérêt pour la police. Ils s'engagent aussi à ne pas fréquenter la mosquée Assahaba, dont Adil Charkaoui est le président.

« Si on a demandé ces conditions-là, c'est parce qu'il y a encore des motifs de crainte, la possibilité, mais ce sera à un juge de décider », a expliqué la procureure de la Couronne, Me Lyne Décarie.

Visiblement déçue, encadrée de son collègue Richard Roy et de deux enquêteurs de la GRC qui ont participé à l'enquête et assisté à toutes les procédures, cette dernière a indiqué respecter la décision du jury.

« C'est un procès qui a été long. C'était une preuve qui était circonstancielle et on respecte leur décision », a dit Me Lyne Décarie, procureure de la Couronne.

Comme le jury n'a pas à expliquer sa décision, difficile de savoir ce qui n'a pas fonctionné.

La procureure a toutefois mentionné qu'elle avait présenté au procès « la preuve qui était admissible, disponible et fiable ». « Des fois, la preuve change au fil du temps. »

Rappelons que la Couronne n'a pas présenté au jury des témoignages incriminants de la part de membres de la famille Djermane et d'amis du couple, recueillis avant leur arrestation, parce que ces derniers auraient changé de version.

Une soeur cadette de Sabrine a même été accusée d'entrave à la justice. Selon l'acte d'accusation, elle aurait menti aux policiers.

APPEL POSSIBLE

La Couronne, qui a 30 jours pour se manifester, ne ferme pas la porte à un appel, qui, selon la loi, doit être fondé sur le droit et non sur les faits en cause. « On va étudier les directives [données par le juge aux jurés] et étudier s'il y a la possibilité d'aller en appel », a fait savoir Me Décarie.

Un élément a déjà fait l'objet de plusieurs accrochages entre la Couronne et le juge, soit la question des éléments saisis aux domiciles des jeunes et de leurs parents par la police qui constituent, selon la loi, une substance explosive.

Plus précisément, est-ce que le jury devait considérer la recette de bombe écrite par M. Jamali et copiée d'un magazine d'Al-Qaïda comme un élément de la bombe ?

Le juge a tranché que non. La recette n'est pas une substance explosive. Elle n'est pas destinée à être utilisée dans la fabrication même de la bombe. La Couronne a prétendu le contraire tout au long des audiences.

Lundi, le juge David avait lancé à la blague que la question se réglerait « sur la rue Wellington à Ottawa », siège de la Cour suprême du Canada.