Le procès pour gangstérisme et importation de drogue d'un individu arrêté en novembre 2012 dans une importante enquête de la Sûreté du Québec, qui se déroule depuis lundi à Longueuil, donne lieu à une véritable incursion dans le monde clandestin du transport de drogue et d'argent entre le Canada et les États-Unis. Hier, les 12 membres du jury ont été littéralement accrochés aux lèvres d'un ancien membre du groupe criminel venu témoigner du sens de l'organisation et de la faculté d'adaptation des trafiquants.

LES PREMIERS PAS

Le témoin repenti, dont on doit taire le nom et qui témoigne derrière un paravent sous haute surveillance policière, a commencé à vendre du cannabis vers l'âge de 18 ans. C'est lorsqu'il a commencé à vendre des méthamphétamines et des stéroïdes qu'il a rencontré les individus qui ont été arrêtés avec l'accusé Sébastien Dolan Sanchez dans le cadre de l'opération policière Loquace. Un jour, en 2011, ces individus lui ont demandé s'il détenait un passeport valide, un permis de conduire et s'il avait des antécédents criminels. Lors d'une rencontre à l'hôtel Radisson de Laval, ils lui ont proposé de transporter du pot vers les États-Unis et de rapporter l'argent de la vente, pour une paie de 3500 $ par voyage. Les individus disaient avoir une méthode de transport infaillible.

DES CAMIONNETTES TRUQUÉES

Les trafiquants utilisaient une entreprise de transport appartenant à un complice. Ce dernier était spécialisé dans la récupération de roulottes neuves aux États-Unis, qu'il faisait ensuite entrer au Québec. Les roulottes étaient tirées par des camionnettes de style pick-up, principalement des Dodge Ram 3500. Dans la caisse du véhicule, les trafiquants avaient construit un faux réservoir de diesel, dont une petite partie seulement était réelle et contenait du carburant, pour tromper les limiers un peu trop curieux. La cache était recouverte d'une plaque métallique scellée qui empêchait les odeurs de la drogue de s'échapper.

DES VOITURES DE LUXE PAYÉES COMPTANT

L'organisation achetait toujours ses camionnettes au même endroit, un concessionnaire de Lacolle où les trafiquants se procuraient également leurs véhicules personnels, généralement en payant comptant. Ceux-ci étaient à peine dans la mi-vingtaine et roulaient dans des véhicules de luxe comme des Audi R8, des Mercedes et des Mustang. Le témoin repenti se souvient d'un jour où son patron, Daniel Pelletier, avait versé 180 000 $ comptant au commerçant pour acheter un véhicule de luxe. Le même matin, un autre complice a voulu aussi payer comptant une nouvelle voiture. « Le vendeur a dit : "Arrêtez de me payer cash, mon coffre-fort ne ferme plus" », s'est souvenu le témoin.

LE RANCH ET LE PLÂTRIER

Deux fois par semaine, le mercredi et le dimanche, six chauffeurs - deux par équipe - se donnaient rendez-vous dans un garage-entrepôt loué, surnommé « le ranch », sur la montée Masson à Sainte-Sophie, dans les Laurentides. Les chauffeurs, aidés d'un remplisseur surnommé « le plâtrier », remplissaient de marijuana les caches des trois camionnettes. Les cargaisons variaient de 100 à 180 lb chaque fois. « Il fallait bien placer la cargaison, car il y avait plus de pot qu'il y avait d'espace ! Il fallait sauter ou s'asseoir dessus pour le tasser », a raconté le témoin.

TIMO, TEXAS, DRAKE ET LES AUTRES

Tous les complices avaient des surnoms - qui avaient un lien avec leurs intérêts ou leur physionomie - et fonctionnaient exclusivement avec ceux-ci : par exemple, Stéroïdes, Texas, Drake, Taxi, Patriote, etc. Lorsque le témoin a été embauché, l'organisation lui a remis un appareil «de type PGP»* contenant une liste de contacts déjà enregistrés. Les PGP sont des téléphones BlackBerry trafiqués de façon à seulement pouvoir envoyer des messagers cryptés.* Ils coûtaient 1500 $ chacun et leur durée de vie était d'environ six mois. C'est principalement avec cet appareil qu'il communiquait avec ses patrons durant un voyage. Selon lui, l'organisation a utilisé entre 150 et 200 appareils PGP* durant l'année et demie au cours de laquelle il a travaillé pour elle.

DE FAUSSES PISTES

Avant chaque voyage, les camionnettes étaient lavées. Le lettrage d'une entreprise de transport était apposé sur les portières, mais retiré avant la douane américaine, pour éviter que le véhicule ne soit considéré comme « commercial » et pour qu'il puisse prendre n'importe quelle route, sans attirer l'attention lorsqu'il déviait de l'itinéraire normal. Les véhicules passaient toujours la frontière à Sarnia, en Ontario, avec un délai d'une demi-heure entre chacun et jamais à la même guérite. Les chauffeurs communiquaient avec leur patron par PGP à intervalles réguliers, avant et après avoir passé la frontière.

VOYAGE ÉCLAIR

Une fois aux États-Unis, ils devaient faire des pauses obligatoires dans des arrêts routiers, notamment à Toledo, pour faciliter le maquillage du « livre de bord » en cas d'interception policière. Il ne fallait pas rester longtemps aux États-Unis, au maximum 24 ou 36 heures, et faire en sorte de dormir seulement une fois revenu au Canada. Le témoin a expliqué avoir acheté des matelas dans un magasin de jouets pour enfants pour pouvoir dormir dans la caisse de son camion, à la belle étoile. Il arrivait que les passagers des trois camionnettes dorment dans le même arrêt routier, mais les véhicules n'étaient jamais garés côte à côte.

L'INCONTOURNABLE ROULOTTE

Parvenus aux États-Unis, les chauffeurs achetaient un téléphone prépayé surnommé « téléphone sale » pour communiquer avec le client et connaître le lieu de la livraison. Le témoin a raconté avoir effectué une vingtaine de livraisons de pot, principalement à New York, Boston, Chicago, Cleveland et Rochester. La plupart du temps, une fois vidé, le faux réservoir était rempli d'argent. Mais avant de revenir au Québec, les chauffeurs devaient absolument cueillir une roulotte dans l'Indiana pour la rapporter ; c'était leur couverture. L'entreprise embauchait même des chauffeurs qui ne faisaient que du transport légal de roulottes à 500 $ le voyage pour tromper les apparences. L'entreprise devait même parfois payer par chèque une partie des salaires pour justifier des dépenses.

DES MEXICAINS INQUIÉTANTS

Outre le pot, le témoin a aussi transporté de la cocaïne et de l'argent. Il se rappelle très bien la première fois qu'il a transporté de la cocaïne. Il a livré à Chicago du pot à des Mexicains qui lui ont ensuite demandé de les suivre dans un entrepôt, où deux hommes armés montaient la garde. Les Mexicains lui ont remis trois boîtes passablement lourdes. C'était de la cocaïne, et le témoin ne s'y attendait pas. En chemin, les Mexicains ont remarqué que le témoin textait, et ils n'ont pas aimé cela. Ils lui ont demandé de voir son passeport et son permis de conduire. À son retour au Québec, ses patrons l'attendaient de pied ferme. « Attention, ce sont des gens dangereux », lui ont-ils dit.

LE CRIME N'EST PAS CENSÉ PAYER

En un an et demi avec l'organisation, le témoin dit avoir transporté entre 1500 et 3000 lb de marijuana et jusqu'à 200 kg de cocaïne, avoir fait des transactions totalisant jusqu'à 20 millions - il a déjà transporté une somme de 3,2 millions - et perçu des honoraires variant entre 300 000 et 400 000 $. Appréhendé à son tour, il a accepté de collaborer avec la police, car il craignait d'être extradé et jugé aux États-Unis, et il voulait « changer de vie ». Il a été condamné à quelques années de pénitencier et a ensuite signé un contrat de témoin repenti avec l'État. En vertu de ce contrat, il a reçu 50 $ par mois pour sa cantine et 300 $ par année pour ses besoins vestimentaires et autres, alors qu'il était en détention. Il recevra 500 $ par semaine durant deux ans pour sa réhabilitation une fois libéré, et 3500 $ pour ses études futures.

Le procès de Sébastien Dolan Sanchez, 31 ans, qui se déroule devant la juge Hélène Di Salvo, de la Cour supérieure, se poursuit aujourd'hui. La poursuite est assurée par Mes Marie-Christine Lajoie-Filion et Philippe Vallières-Roland, alors que la défense est assurée par Me Élizabeth Ménard.

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* Ce sont les mots du témoin.

Saisie d'une photo déposée en cour, André Pichette, La Presse

Du pot était régulièrement transporté vers les États-Unis par le réseau criminel.

Saisie d'une photo déposée en cour, André Pichette, La Presse

Les trafiquants utilisaient des camionnettes de style pick-up lors de leurs déplacements.