« Non, Monsieur le Juge. » Ce sont les seuls mots que Caroline Séguin et Adrian Stürm ont prononcés pendant leur procès devant jury, la semaine dernière. Accusés d'avoir produit 89 plants de cannabis, ils se défendaient sans avocat. Ils ont admis les faits, n'ont présenté ni témoin ni défense, et n'ont même pas plaidé leur cause.

« Non, Monsieur le Juge », répondaient-ils poliment, mais invariablement, quand le juge Alexandre Boucher leur posait une question devant le jury, ou sans la présence de celui-ci.

Ce procès a débouché en quelques heures de délibérations, mercredi dernier, sur des verdicts d'acquittement pour la femme de 45 ans et de culpabilité pour l'homme de 38 ans. La peine minimale pour la production de plus de six plants de cannabis est de six mois de prison, et de 14 ans au maximum. Les plaidoiries à ce sujet auront lieu demain. Le juge Boucher a quand même remis M. Stürm en liberté en attendant. Le procureur de la Couronne, Éric Côté, était tout à fait d'accord. M. Stürm, qui est sorti de son silence à ce moment, disait avoir « besoin de travailler ».

CONSEILS DE MILITANTS

Dans cette aventure judiciaire, le couple de Brownsburg-Chatham a pris conseil auprès des frères activistes Raymond et John Turmel. Ces derniers militent depuis longtemps pour la légalisation du cannabis. John, qui était présent le 9 mai pour le début du procès estime qu'on devrait pouvoir faire pousser du cannabis, comme on peut faire pousser des tomates. Raymond, qui était là le 8 mai pour le choix du jury, se réjouissait pour sa part que la cause du couple nécessite autant de ressources. Plus de 180 citoyens étaient présents au palais de justice pour constituer le jury de 12 personnes. « Ça coûte cher », répétait M. Turmel avec enthousiasme, lui qui a été l'un des premiers, au début des années 2000, à obtenir un permis de cannabis à des fins thérapeutiques.

Ce sont les frères Turmel qui ont conseillé au couple de se faire juger en Cour supérieure, plutôt que de s'en tenir à un procès devant juge seul, en Cour du Québec. Les Turmel s'attendaient manifestement à un verdict de culpabilité. Le but était de le porter en appel.

REQUÊTE « FRIVOLE »

Cela fait des années que les Turmel contestent la constitutionnalité de la loi qui régit la production et la consommation du cannabis. Dans le cadre du procès du couple Séguin-Stürm, une volumineuse requête en constitutionnalité a d'ailleurs été présentée. Le juge l'a rejetée, en la qualifiant de « mal fondée et frivole », puisque selon lui, elle attaquait un règlement qui n'est plus en vigueur depuis le 30 mars 2014.

« UN CRIME »

Lors de son exposé d'ouverture, mardi le 9 mai, Me Côté a indiqué aux sept hommes et cinq femmes du jury que malgré tous les discours qu'on peut entendre et tous les messages qui sont véhiculés, un fait demeure : « au Canada, cultiver du cannabis sans autorisation légale, ça reste un crime ».

Il a ajouté que même si le projet de loi annoncé par le gouvernement Trudeau était en vigueur, ce qui n'est pas le cas, la culture de 89 plants de cannabis sans autorisation serait quand même illégale.

LA DÉCOUVERTE

Comme cela arrive assez souvent, c'est un incendie qui a mené à la découverte de la plantation. Le 17 janvier 2016, tôt le matin, le feu s'est déclaré dans le garage attenant au domicile du couple de Brownsburg-Chatham. Les pompiers ont constaté la présence de plants de cannabis et prévenu les policiers. Ceux-ci ont compté 65 plants matures dans le garage, et 24 boutures dans le sous-sol. Mme Séguin et M. Stürm ont été arrêtés sur les lieux et accusés, dans la foulée, de production et de possession de marijuana, en Cour du Québec.

L'accusation de production ouvrait la porte à un procès devant jury en Cour supérieure, mais pas celle de possession. Le couple doit encore être jugé en Cour du Québec pour l'accusation de possession. Même Mme Séguin qui, de façon assez surprenante, a été acquittée en Cour supérieure. Il est à noter que le jury disposait d'une liste d'admissions, d'un document montrant que les deux accusés étaient propriétaires de la maison, ainsi que de photos intérieures et extérieures des lieux. La Couronne pensait bien avoir démontré que les deux étaient impliqués, d'autant plus que la culture se faisait dans des pièces non verrouillées de la maison.

L'ADMISSION

Lorsqu'elle a été interrogée par les policiers après son arrestation, Mme Séguin avait déclaré qu'elle et son conjoint avaient des difficultés financières et qu'ils ne voulaient « pas perdre leur maison ».

M. Stürm avait confirmé les problèmes financiers du couple, et dit qu'il produisait du cannabis depuis plus ou moins un an, et qu'il vendait le fruit de ses récoltes.

PAS D'ARGENT POUR UN AVOCAT

C'est parce que le couple n'a pas d'argent pour payer un avocat, et qu'il n'est pas admissible à l'aide juridique, qu'il a choisi de se défendre de cette manière. C'est du moins ce que M. Stürm a fait valoir à La Presse, lorsqu'on l'a questionné à ce sujet, la semaine dernière. Quelqu'un leur a parlé des frères Turmel, et ils ont choisi cette voie.

M. Stürm pensait aussi qu'ils avaient une petite chance d'acquittement avec un jury, alors qu'ils n'en auraient eu aucune en plaidant coupable. « On ne sait jamais », a-t-il dit.

Cette stratégie a réussi pour sa conjointe. Reste à voir ce qui adviendra avec le procès en Cour du Québec.

Photo Olivier Jean, La Presse

John Turmel, militant pour la légalisation du cannabis, estime qu'on devrait pouvoir faire pousser du cannabis, comme on peut faire pousser des tomates.

Photo Olivier Jean, La Presse

Éric Côté, procureur de la Couronne, et Dominique Gilbert, sergent détective à la Sûreté du Québec

En chiffres

300: nombre de candidats qui avaient été convoqués pour le choix du jury. Chiffre obtenu auprès du ministère de la Justice.

60 minutes: durée de présentation de la preuve de la Couronne.

7 minutes: durée de la plaidoirie du procureur de la Couronne.

0 minute: durée de la plaidoirie du couple.