À 12 ans, il lui passait la main entre les jambes si elle s'adonnait à monter les escaliers devant lui. À 15 ans, alors que l'équipe de ski se trouvait en France pour deux mois, il l'a dépucelée. «C'était la première fois que j'avais une relation sexuelle avec un homme. J'ai dit que ça faisait mal. Il m'a dit: "relaxe, ça va passer".»

Sophie (nom fictif) a livré un témoignage percutant contre l'ex-entraîneur Bertrand Charest, mardi. L'homme de 51 ans est jugé en Cour du Québec sous 57 accusations de nature sexuelle, ayant trait à 12 plaignantes. Les faits se seraient produits entre 1991 et 1998, alors que M. Charest était entraîneur de ski, d'abord pour l'équipe de la zone Laurentienne, puis pour l'équipe nationale junior, de 1996 à  février 1998, moment où il a été «démissionné» de son poste, en raison des allégations de relations sexuelles avec des skieuses.

Sophie, elle, évalue qu'elle n'a pas eu de chance, car elle a eu M. Charest comme entraîneur dans les deux équipes. Si, après la zone laurentienne, elle était fière d'avoir été sélectionnée pour l'équipe junior canadienne, qui regroupait les meilleures skieuses du pays, elle a eu cette constatation mardi: «mozusse de mauvaise nouvelle, c'est que c'était lui le coach à l'équipe nationale. J'étais encore pognée avec lui.»

Des relations sexuelles complètes et sans condom, elle a raconté qu'il y en a eu en France, dans des toilettes d'un hôtel en Autriche, chez M. Charest à Arundel. Combien de fois, elle ne peut le dire avec précision. Ça fait plus de vingt ans. Mais elle sait que lorsqu'elle disait non, il la boudait, arrêtait de la coacher. Elle avait du talent en ski et voulait aller loin. «Un non, ça ne passait pas au conseil», a-t-elle illustré. 

Sophie a raconté qu'elle se sentait «sale, coupable, comme un objet pour combler son besoin à lui».

Échapper

Sophie a expliqué que lors d'un voyage en France, elle avait  construit un iglou à côté du chalet, dans lequel elle allait dormir, pour avoir la paix. Il ne venait pas là. Quand elle a eu ses premières règles, à 16 ans, elle se trouvait dans une chambre d'hôtel avec lui, à Toronto, parce qu'ils avaient manqué leur transfert d'avion vers la Nouvelle-Zélande. Il avait pris une seule chambre, avec un seul lit. Elle en était mortifiée. Elle avait des crampes, et il la collait dans le lit. Elle a préféré aller coucher dans le bain. «Il m'a volé mon enfance, ça ne se reprend pas», a-t-elle dit avec colère.

Mensonge

En février 1998, quand le scandale a éclaté à l'effet que M. Charest avait des relations sexuelles avec des skieuses, Sophie a menti au représentant de Canada Alpin, quand elle a dit qu'il ne s'était rien passé avec M. Charest. <J'avais peur du jugement des autres, peur de perdre mes amies>, a-t-elle dit.

En contre-interrogatoire la défense s'est efforcée de relever des contradictions entre le témoignage de Sophie et sa déposition faite à la police, en 2015. L'avocat lui a montré une photo d'elle qu'elle avait envoyée à M. Charest, après une compétition en Italie. La photo était signée: «à mon coach et complice, merci pour tout. Sophie XXX».

«Quand tu es manipulée, traitée comme un caca, que tu caches un secret, tu fais semblant qu'il ne s'est rien passé», a-t-elle répondu.

C'est Sophie qui a dénoncé M. Charest en janvier 2015, après avoir appris qu'il avait commencé à 'coacher» des 11-12 ans, au mont Blanc, dans les Laurentides. Avant d'aller à la police, elle dit avoir écrit une lettre au président de la Fédération des entraîneurs de ski. 'J'ai fait une plainte formelle. Je ne voulais pas que d'autres passent par où j'ai passé>, a-t-elle dit. 

Me Antonio Cabral, qui représente l'accusé, lui a fait remarquer que M. Charest voulait coacher son fils, qui avait 12 ans.

«C'est pas important l'âge, il coachait, point,» a-t-elle dit.

Le procès se poursuit mercredi, avec une autre victime alléguée.