L'ancien évêque de Chicoutimi, Jean-Guy Couture, a été « complètement renversé » d'apprendre que le prêtre Paul-André Harvey avait agressé des enfants dans une dizaine de paroisses du diocèse dont il a eu la charge pendant 25 ans.

« Si j'avais été avisé, c'est certain qu'il n'aurait gardé aucun poste dans le diocèse. Je l'aurais dénoncé », a assuré Mgr Couture, hier, devant la juge Sandra Bouchard, de la Cour supérieure du Québec. L'homme de 87 ans témoignait dans le cadre d'un recours collectif intenté par les victimes de l'abbé Harvey contre le diocèse de Chicoutimi.

Mgr Couture a raconté avoir tissé des liens avec le prêtre lors du déluge du Saguenay, en 1996. L'abbé Harvey était alors curé d'une paroisse très affectée par l'inondation, à La Baie. « Après le déluge, il venait régulièrement manger à l'évêché », a raconté Mgr Couture. Pas une seule fois le curé ne lui a-t-il confié être pédophile.

« Je l'ai appris quand c'est sorti dans les journaux », lors de l'arrestation du prêtre en 2011, a dit Mgr Couture. « J'étais renversé. Je pensais même que c'était un autre abbé Harvey. Il était estimé de ses paroissiens. Comment pouvait-il être abuseur ? »

Évêque de Chicoutimi de 1979 à 2004, Jean-Guy Couture a nié l'existence d'une culture du silence au sein du diocèse, sous son règne, à l'égard des prêtres pédophiles. « La preuve que de mon temps, il n'y avait pas de culture du silence, c'est qu'on a écarté deux prêtres » accusés d'agressions sexuelles contre des enfants. Mgr Couture a lui-même dénoncé l'un d'eux à la police. « Je l'ai dénoncé parce que c'est la loi. Moi, j'ai suivi la loi. »

DES SUPÉRIEURS INFORMÉS?

Paul-André Harvey a écopé de six ans de prison, en 2015, pour avoir agressé 39 enfants au Saguenay. Lors de son procès criminel, il a plaidé avoir informé ses supérieurs de sa déviance à de nombreuses reprises. « Il voyait bien que les transferts de paroisse ne réglaient rien. On lui a répondu de prier plus fort », a écrit le juge Pierre Lortie dans sa décision.

« Ce n'est pas moi qui lui ai dit ça », a protesté hier Mgr Couture, ajoutant n'avoir jamais transféré un prêtre pédophile d'une paroisse à l'autre dans l'espoir d'étouffer un scandale. « Quand il y avait une allégation, on retirait le prêtre de son ministère. »

Mgr Couture a dit ignorer si des prêtres problématiques avaient été transférés par son prédécesseur, feu Marius Paré. Il a toutefois mis en doute la version d'une victime de l'abbé Harvey, Suzanne Tremblay, qui affirme avoir été giflée et traitée de menteuse par l'ancien évêque à la fin des années 60. « Je n'accepte pas qu'on dise que Mgr Paré a giflé un enfant, a-t-il laissé tomber. Ce n'est pas l'image que j'ai gardée de Mgr Paré. »

De son côté, Suzanne Tremblay n'a pas davantage cru Mgr Couture lorsque ce dernier a déclaré n'avoir jamais rien su des agissements de l'abbé Harvey. « C'est impossible, a-t-elle tranché. Tout le monde savait. On a fait des plaintes à l'évêché. Une population entière savait. Comment pouvait-il ne pas savoir ? »

Mgr Couture a été interrogé en vertu d'une procédure appelée ad futuram memoriam, qui permet de faire comparaître des témoins dont l'état de santé risque de se détériorer avant le début du procès.

PLAINTE CONTRE L'ASSUREUR

Les audiences proprement dites n'auront pas lieu avant plusieurs mois, d'autant plus que le diocèse de Chicoutimi doit d'abord régler le différend qui l'oppose à sa compagnie d'assurances, qui refuse de payer la note en cas de condamnation.

Le diocèse de Chicoutimi accuse l'Assurance Mutuelle des Fabriques de Québec d'avoir sciemment réduit sa protection spéciale « responsabilité-abus sexuels » pour éviter de verser des millions de dollars aux victimes de Paul-André Harvey.

La juge Bouchard devra décider si la Mutuelle est tenue de respecter la police en vigueur lors du dépôt des accusations contre l'abbé Harvey avant d'entendre de nouveaux témoignages.

Sans cette couverture d'assurances, le diocèse de Chicoutimi risque d'être acculé à la faillite en cas de condamnation.