Le suspect d'infraction terroriste Ismaël Habib a-t-il dit la vérité en avouant à un policier infiltré son désir d'aller faire le djihad en Syrie ou a-t-il « dit n'importe quoi » parce que la police exploitait son « désir quasi irrésistible » de rejoindre sa femme et ses enfants ? Cette simple question pourrait faire dérailler le premier procès d'un adulte canadien en vertu de la nouvelle Loi sur la lutte contre le terrorisme, en plus d'invalider les techniques d'enquête de la GRC en la matière. Explications en quatre points.

Pourquoi c'est important ?

Le Montréalais Ismaël Habib est le premier adulte canadien à avoir un procès pour avoir tenté de quitter le pays afin de participer à une activité terroriste en vertu de l'article 83.181, ajouté en 2013 au Code criminel. Ici, les autorités doivent prouver l'intention de commettre un crime, et non un crime passé. Pour y arriver, la GRC a organisé une vingtaine de scénarios d'infiltration auxquels neuf policiers ont participé pour faire croire au suspect qu'il travaillait au sein d'une organisation criminelle de falsification de passeports et de passeurs.

Au terme de plusieurs mois, Habib a admis à l'agent qui jouait le patron de cette organisation son intention d'aller rejoindre le groupe armé État islamique en Syrie. Est-ce que les aveux qu'il a faits dans le contexte de cette opération, communément appelée de type Mr. Big, sont recevables en cour ? Bref, ont-ils été recueillis dans un climat qui aurait pu pousser l'accusé à mentir ? Est-ce que la police est allée trop loin ? Comment corroborer les aveux alors qu'il n'y a pas de scène de crime ? 

Ce sont les questions auxquelles doit répondre le juge Serge Delisle après avoir écouté, hier, les arguments des avocats de la Couronne et de la défense. « La cause n'est pas banale. C'est le premier cas [où une telle opération policière est utilisée] qui n'est pas en lien avec un crime commis dans le passé », a fait valoir la procureure Lyne Décarie.

La décision du juge dictera sans doute les balises des prochains procès pour terrorisme et pourrait bien forcer la GRC à revoir ses techniques d'enquête.

La police est-elle allée trop loin ?

Non, croit la Couronne. Oui, répond la défense.

Selon la Couronne, l'opération policière a été faite dans les règles de l'art. Il n'y a pas eu d'abus de procédure. Les agents infiltrés n'ont pas utilisé de violence ou de menaces pour forcer le suspect à avouer son intention d'aller faire le djihad. Au contraire. « Habib est celui qui a amené les gestes violents, qui ont été écartés par l'agent d'infiltration », a plaidé la Couronne. L'accusé a notamment laissé sous-entendre qu'il serait prêt à se servir d'une arme à feu et il a demandé de l'aide pour commettre des fraudes. Le policier qui jouait le rôle du patron a rejeté ces offres, disant que cela amènerait des problèmes à son organisation.

Toujours selon la Couronne, la police n'a pas exploité sa pauvreté ou ses goûts. Ses aveux ont été recueillis alors qu'il savait qu'il pouvait partir à tout moment, sans tension, coercition ou violence, dans un contexte où les interlocuteurs ont même fait des blagues. « Il était dans une discussion d'affaires. »

L'avocat de M. Habib, Me Charles Montpetit, voit les choses autrement. Selon lui, la police a exploité le « désir quasi irrésistible » de son client d'aller rejoindre sa femme et ses enfants, qui sont actuellement en Syrie, pour lui faire dire ce qu'on voulait entendre. 

« On lui a dit : convaincs-moi de ce que je veux entendre », dit Me Montpetit, qui a plaidé que son client avait dit « n'importe quoi » au patron dans l'espoir d'obtenir un passeport.

Il ajoute qu'il est difficile de corroborer l'aveu puisqu'aucun crime n'a été commis. Ismaël Habib a avoué s'être déjà rendu en Syrie et a raconté comment il s'y est battu avec des groupes djihadistes en 2013. « Ça ne fait pas partie de l'accusation. On ne peut pas considérer les paroles sur son passé comme un aveu. Comme si le passé était garant de l'avenir. »

Qu'arrivera-t-il quand le juge aura tranché ?

Si le juge estime que les aveux de l'accusé sont recevables, ce sera au tour de la défense de présenter sa preuve, ce que la Couronne a déjà fait en novembre et décembre derniers.

Si, au contraire, le juge décide de rejeter les aveux, il est fort probable que le camp Habib ne présente pas de défense. La preuve de la Couronne pour l'accusation d'avoir tenté de quitter le pays afin de participer à une activité terroriste (article 83.181) repose en grande partie sur l'information recueillie dans le cadre de l'opération d'infiltration, qui ne tiendrait alors plus. Le suspect est aussi accusé d'avoir fait une fausse déclaration dans le but d'obtenir un passeport, accusation pour laquelle son avocat a admis que la Couronne a présenté une preuve « relativement béton ».

La décision sur l'admissibilité des aveux doit être rendue le 24 février. La cause reprend ensuite en mars.

C'est quoi, un Mr. Big ?

Une opération de type Mr. Big est une technique d'enquête durant laquelle on fait croire à un suspect qu'il est en voie de se joindre à un groupe criminel pour lui soutirer une confession. Des agents doubles mettent le suspect en confiance et lui font participer à des délits avant de lui présenter le patron (d'où le nom Mr. Big), qui tente ensuite de faire avouer à l'individu son passé criminel comme condition pour l'accepter officiellement dans le groupe. Depuis 2014, de telles opérations sont balisées par un arrêt de la Cour suprême, arrêt sur lequel le juge Serge Delisle devra se fonder pour prendre sa décision.

Selon l'arrêt en question (arrêt Hart), les confessions recueillies dans ce contexte d'enquête sont présumées inadmissibles en preuve. « Cette présomption d'inadmissibilité pourra être réfutée si le ministère public établit, selon la prépondérance des probabilités, que la force probante de l'aveu l'emporte sur son effet préjudiciable », lit-on. C'est ce que la Couronne a tenté de faire, hier, dans le dossier Habib.

Selon l'arrêt Hart, la technique Mr. Big soulève des préoccupations quant à la fiabilité des aveux recueillis. En effet, la possibilité d'abus de la part des policiers et la participation à une organisation criminelle, même si elle est fictive, est susceptible d'entacher la crédibilité de l'accusé.