Peut-on prouver la simple intention de rejoindre un groupe terroriste? Le test commence aujourd'hui. Le Montréalais Ismaël Habib deviendra ce matin le premier adulte canadien à avoir un procès pour avoir tenté de quitter le pays afin de participer à une activité terroriste à l'étranger en vertu de la nouvelle loi antiterroriste de 2013. Les yeux du système de justice, mais aussi ceux de tous les suspects de terrorisme, seront rivés sur Montréal.

Habib, 28 ans, est un Montréalais, fils d'un réfugié afghan et d'une Québécoise. Il a été arrêté en février dernier, à Gatineau, pour une affaire de violence conjugale. Il aurait notamment menacé de faire exploser la voiture de sa copine. Selon ce que cette dernière avait à l'époque déclaré aux policiers, il regardait des vidéos d'exécution du groupe armé État islamique. Rapidement, des accusations de terrorisme ont été déposées.

En plus de sa copine de Gatineau, l'homme est marié avec une Algérienne du quartier Anjou. La femme et les deux jeunes enfants du couple, nés au Canada, se trouveraient selon toute vraisemblance en Syrie, indiquent plusieurs sources. Une photo de ce que la police croit être la femme et la fille d'Habib, le visage couvert par des voiles noirs, a été déposée en cour à Gatineau. La femme y tient une arme longue. Elle aurait envoyé le cliché à la victime d'Habib avec le message : «Tu penses que tu vas gagner contre ça?» Des photos obtenues sur le compte Facebook du suspect le montrent aussi tenant des armes longues.

Ce qu'on lui reproche

Le procès qui s'ouvre aujourd'hui à Montréal est celui pour terrorisme (celui pour violence conjugale aura lieu plus tard). L'homme fait face à une accusation en vertu de l'article 83.181 du Code criminel, soit d'avoir tenté de quitter le pays pour participer aux activités d'un groupe terroriste.

Habib est aussi accusé par la Couronne fédérale d'avoir fait une déclaration fausse ou trompeuse en vue d'obtenir un passeport.

Une ordonnance de non-publication nous empêche de donner les détails de son dossier avant le début du procès.

Dans une entrevue accordée en mars à La Presse, le père de l'accusé a raconté que son fils s'est rendu en Turquie autour de l'année 2012; il aurait été arrêté et renvoyé au Canada. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) aurait depuis saisi son passeport par crainte qu'il ne gagne la Syrie. «Il est influençable. Il y a quelqu'un qui l'a influencé. Je suis fâché de sa stupidité», disait M. Habib.

Une première

«C'est la première fois qu'un adulte subit un procès en vertu de l'article 83.181», confirme le professeur de droit à l'Université d'Ottawa et expert des dossiers de sécurité nationale Craig Forcese.

La nouvelle Loi sur la lutte contre le terrorisme a été adoptée en juillet 2013 dans la foulée des attentats du marathon de Boston. Le changement législatif criminalise l'intention même de quitter le Canada ou de tenter de le faire pour commettre des actes terroristes.

En avril, un adolescent de 16 ans a été condamné en vertu de ce même article à 24 mois de garde fermée en centre jeunesse et à 12 mois de probation par le tribunal de la jeunesse, après avoir eu son procès, lui aussi à Montréal, rappelle M. Forcese. Notons toutefois qu'il était mineur et n'était donc pas soumis aux mêmes peines que Habib, ni jugé par le même tribunal.

Pourquoi est-ce important?

«Le procès lui-même sera important parce qu'il mettra en évidence les difficultés auxquelles les autorités sont confrontées pour essayer de prouver que des individus rejoignent vraiment des organisations jugées terroristes par le Canada quand ils vont dans des endroits comme la Syrie», note Amarnath Amarasingam, chercheur à l'Université Dalhousie et expert de l'extrémisme islamiste.

«Il est souvent difficile de prouver que les individus ont voyagé dans ces zones de conflit, et encore plus difficile de prouver qu'ils ont rejoint des groupes précis, dit l'expert. Je serai très intéressé de savoir, à part l'utilisation d'informateurs confidentiels, comment le gouvernement a recueilli de telles preuves. Cette affaire sera également intéressante car elle pourrait faire la lumière sur d'autres personnes qui ont quitté le Québec et comment ces individus se sont influencés.»

Ce qu'il risque

S'il est déclaré coupable, Ismaël Habib risque : 

- un emprisonnement maximal de deux ans pour l'accusation de fausse déclaration en vue d'obtenir un passeport ;

- un maximum de 10 ans derrière les barreaux pour l'accusation d'avoir quitté ou tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l'étranger. 

Habib est détenu depuis son arrestation. Le procès doit durer deux semaines.

Des cas semblables

Plus tôt cette année, un homme d'Ottawa, Carlos Larmond, a été accusé en vertu de l'article 83.181, le même qu'Ismaël Habib. Il a toutefois plaidé coupable et il n'y a pas eu de procès. Les procureurs n'ont donc pas eu à faire la preuve que Larmond avait eu l'intention de se joindre à un groupe terroriste. Il avait été arrêté à l'aéroport de Montréal.

En mai 2014, le Canadien d'origine somalienne Mohamed Hassan Hersi, 28 ans, a été condamné pour un crime semblable en vertu d'un ancien article de loi. Il avait tenté de rallier le mouvement des islamistes somaliens shebab et avait été arrêté en mars 2011 à l'aéroport de Toronto, où il devait embarquer dans un vol pour Le Caire, en Égypte, puis rejoindre la Somalie.