Les démarches des cigarettiers qui cherchent à faire s'envoler en fumée les 15 milliards de dollars de dommages que la Cour supérieure les a condamnés à verser aux fumeurs québécois tirent à leur fin.

Les parties ont conclu la présentation de leurs arguments vendredi en Cour d'appel à Montréal, mais le tribunal leur a demandé de revenir mercredi prochain afin de répondre aux questions des cinq juges qui les ont entendues.

Essentiellement, l'argumentaire des compagnies Imperial Tobacco, JTI-Macdonald et Rothmans-Benson & Hedges tourne autour d'un concept qui se rapproche du «consentement éclairé» des fumeurs.

«Les consommateurs étaient au courant des risques associés au tabagisme depuis des décennies», a soutenu le directeur des affaires corporatives d'Imperial Tobacco, Éric Gagnon, en entrevue avec La Presse canadienne sur place.

«Dans les années 70, il y avait déjà des messages de santé qui exposaient les risques associés au tabagisme et, donc, on continue à croire qu'on ne devrait pas être tenus responsables pour les décisions des adultes», a-t-il poursuivi.

Devant le tribunal, l'un des avocats des cigarettiers, Me Simon Potter, a ainsi résumé cette thèse: «Il n'y a aucune preuve que qui que ce soit ait induit quiconque à faire quoi que ce soit».

«Le juge (de première instance Brian) Riordan a tenu compte de cet argument, qui n'est pas nouveau, qui a été servi plusieurs fois avant et durant le procès et c'est très clair que ça ne peut pas s'appliquer parce que la responsabilité du fabricant, même si les gens avaient une certaine connaissance, est reconnue», a rétorqué le directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé, Mario Bujold, à la sortie de la Cour.

Il ne s'agit toutefois pas du seul argument avancé par la petite armée d'avocats retenus par les cigarettiers, dont la requête en appel de 141 pages reproche au juge Riordan - entre autres - d'avoir mal appliqué les principes guidant les recours collectifs, d'avoir mal interprété les notions de «causalité de conduite» et de «causalité médicale», d'avoir mal analysé la responsabilité des cigarettiers d'informer les consommateurs face à la dépendance, aux risques pour la santé et en lien avec celle de la gestion du risque par les gouvernements.

On lui reproche également d'avoir erré dans son analyse des pratiques de rétention de documents, dont certains ont été détruits par les compagnies de tabac, ainsi que dans son évaluation des dommages punitifs et des délais de prescriptions.

En juin 2015, le juge Riordan avait estimé que les trois cigarettiers avaient fait «passer leurs profits avant la santé de leurs clients», qualifiant leurs actions de «particulièrement répréhensibles».

Les trois entreprises étaient visées par deux actions collectives.

La première avait été intentée au nom de 100 000 fumeurs québécois victimes du cancer du poumon, du larynx, de la gorge et d'emphysème causés par des produits de tabac, et la deuxième pour les personnes dépendantes de la nicotine contenue dans les cigarettes.

Les fumeurs alléguaient que les cigarettiers connaissaient - ou auraient dû connaître - l'effet nocif de leurs produits sur la santé. Et que malgré cela, ils les ont vendus, avec l'aide de techniques de marketing élaborées.

Le procès avait débuté le 12 mars 2012, mais les procédures avaient été intentées dès 1998.

Quelque 76 témoins avaient été entendus et environ 43 000 documents avaient été déposés, selon le Conseil québécois sur le tabac et la santé, qui a porté la cause à bout de bras, incluant des notes internes et confidentielles des entreprises visées et des études démontrant que les fumeurs ne connaissaient pas ou ne comprenaient pas les risques liés à la cigarette.

Par ailleurs, ces trois cigarettiers sont visés par une poursuite de 60 milliards de dollars du gouvernement du Québec dans le cadre du recouvrement du coût des soins de santé dispensés aux fumeurs.

En mai dernier, la Cour suprême du Canada avait refusé d'entendre JTI-MacDonald, qui tentait d'invalider la «Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac» adoptée par Québec en 2009.