Une femme qui soutient avoir été tellement traumatisée par le comportement de Jian Ghomeshi qu'elle ne voulait plus jamais le revoir - ou même entendre sa voix à la radio - a dû admettre mardi, en contre-interrogatoire, qu'elle lui avait ensuite envoyé plusieurs courriels pour reprendre contact avec lui.

Au deuxième jour du procès de l'ancien animateur vedette de CBC, la défense a déposé en preuve, mardi matin, un premier courriel envoyé par le témoin en janvier 2004, alors qu'un an auparavant, l'accusé l'aurait projetée au sol par les cheveux puis frappée à la tête, chez lui. Dans ce courriel, la plaignante demande à M. Ghomeshi de reprendre contact avec elle, en lui laissant son adresse courriel et son numéro de téléphone.

Dans un deuxième courriel, envoyé six mois plus tard, la plaignante, qu'on ne peut identifier en vertu d'une ordonnance de non-publication, écrit qu'elle vient de voir l'animateur à la télévision, et elle lie à ce message une photo d'elle en bikini sur une plage.

«Vous invitiez l'homme qui vous avait traumatisée à communiquer avec vous?», a demandé, incrédule, l'avocate de l'accusé, Marie Henein. La plaignante a alors expliqué que ces courriels étaient en fait des appâts pour pouvoir revenir sur les événements avec son agresseur, qu'elle n'avait du reste aucunement l'intention de revoir.

Ces courriels déposés en preuve ont constitué les moments-clés de cette deuxième journée du contre-interrogatoire de la première plaignante à témoigner au procès de l'ex-animateur-vedette du réseau anglais de Radio-Canada.

M. Ghomeshi, âgé de 48 ans, qui animait la populaire émission «Q» à la radio publique avant son arrestation, a plaidé non coupable à quatre chefs d'accusation d'agression sexuelle, dont deux impliquant la femme qui témoigne depuis lundi. La peine maximale pour ce chef d'accusation est de 18 mois de prison.

Il est aussi accusé «d'avoir tenté d'étouffer, de suffoquer ou d'étrangler une personne dans le but de vaincre sa résistance». La peine maximale prévue pour ce chef est la prison à perpétuité.

Sa déclaration aux policiers

Plus tôt mardi matin, la cour avait visionné l'enregistrement de la déclaration de la plaignante à la police, en novembre 2014.

La femme a ensuite dû faire face à un barrage de questions de Me Henein, qui tentait de soulever des incohérences entre son témoignage au tribunal et cette déclaration à la police. Par exemple, la femme avait indiqué aux policiers que l'accusé lui avait «fracassé» la tête contre la vitre d'une voiture; elle s'est rétractée là-dessus au procès.

La plaignante impute ces incohérences à des trous de mémoire ou à sa nervosité lors de l'entrevue avec la police. Elle a soutenu mardi que dans sa plainte initiale à la police, elle avait tenté de relater les faits au meilleur de sa connaissance et de ses souvenirs. Elle s'est évertuée à plaider devant la cour qu'elle n'avait pas menti à la police, mais que ses souvenirs se précisent avec le temps.

«Une vérité qui évolue sans cesse, alors?», a lancé Me Henein.

«Je ne suis pas de cet avis», a rétorqué la plaignante, qui semblait parfois énervée par ce contre-interrogatoire musclé.

L'accusé, lui, est demeuré impassible en suivant attentivement les procédures.

Le témoin a aussi expliqué mardi qu'elle n'avait pas porté plainte tout de suite après les agressions présumées, en décembre 2002 et janvier 2003, parce qu'elle ne croyait pas qu'on la prendrait au sérieux.

Lundi, la plaignante avait déclaré que M. Ghomeshi lui avait d'abord paru comme le parfait gentleman, mais qu'il pouvait soudainement devenir violent. L'animateur déchu, qui est en liberté sous caution depuis qu'il a été accusé en novembre 2014, admet être un adepte des pratiques sexuelles sadomasochistes, mais soutient que ses partenaires étaient pleinement consentantes.

À l'issue du témoignage de la plaignante, son avocat a lu une déclaration dans laquelle la présumée victime admet qu'elle a trouvé «extrêmement éprouvant» de témoigner devant le tribunal et de revoir l'accusé, mais que cela en valait la peine. «Je veux encourager les autres victimes d'agressions de sortir de l'ombre, de ne plus avoir peur. J'ai l'impression d'être soulagée d'un poids immense sur mes épaules depuis que j'ai eu la chance de raconter mon histoire.»

Le procès, qui se déroule devant un juge seul et non devant jury, reprendra jeudi, au palais de justice de Toronto.