En tant que vice-président au développement des affaires de la firme de génie-conseil Roche, Gilles Cloutier devait trouver des municipalités qui leur confieraient des travaux. À Boisbriand, cela passait par des contributions en argent comptant, que Roche faisait au comité électoral du candidat à la mairie, notamment Robert Poirier. Cela est aussi passé par une «entente de 100 000$» afin d'obtenir le mandat de génie pour la réfection de l'usine d'épuration des eaux, en 2005.

C'est ce que M. Cloutier, un des témoins-vedettes de la commission Charbonneau, a raconté hier après-midi, alors qu'il amorçait son témoignage au procès de collusion à Boisbriand - le premier procès qui découle d'une frappe de l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Les trois accusés de ce procès sont Robert Poirier, maire de 1998 à 2005, France Michaud, qui était vice-présidente de la firme Roche, et Rosaire Fontaine, qui était employé de la firme BPR-Triax. Ils sont accusés de complot, de fraude et d'abus de confiance, des accusations qui visent la période comprise entre 2000 et 2009.

Longue carrière

Au début de son témoignage, M. Cloutier, 74 ans, a raconté qu'il avait fait de l'organisation politique et du financement politique pendant 40 ans. En 1995, il a été embauché comme adjoint de Marc-Yvan Côté chez Roche. L'ex-ministre avait quitté la politique et était devenu président du comité de développement chez Roche. M. Cloutier a pour sa part commencé avec un mandat de trois ans, en 1995. «Je connaissais pas mal toutes les municipalités et tous les maires. Pour essayer d'avoir des contrats, je rencontrais les maires et les directeurs généraux», a relaté M. Cloutier. Il dit avoir été impliqué à Boisbriand dès 1995, et ce, jusqu'en 2005, moment où il a cessé de travailler avec Roche. Il affirme avoir organisé des élections clés en main avant l'arrivée de M. Poirier, et avec M. Poirier par la suite.

M. Cloutier avait fondé trois entreprises: une société à numéro, une de consultant à son nom et une autre, Signa Vision, une entreprise de signalisation - une «petite compagnie qui avait un chiffre d'affaires d'une couple de cent mille dollars par année», mais qui servait aussi à faire de «fausses factures pour du blanchiment d'argent». Cela permettait de transmettre de l'argent comptant à Roche, a-t-il expliqué.

M. Cloutier dit avoir versé 20 000$ en argent comptant, en 2002, à Jean-Guy Gagnon, organisateur financier du maire Poirier. En 2005, il affirme avoir donné 30 000$ à M. Gagnon. C'était la contribution pour les quatre ans à venir à la mairie, «pour renforcer ce qu'on avait».

M. Cloutier explique ainsi le stratagème: «Je faisais des factures à Roche, je changeais le chèque de Roche et j'allais porter l'argent à Gagnon.»

De la même manière, M. Cloutier dit avoir donné 25 000$ comptant à M. Gagnon, peut-être à la fin de 2004 ou 2005, comme avance sur une entente de 100 000$ pour obtenir le mandat de l'usine d'épuration des eaux.

«L'usine, Roche la voulait, BPR la voulait, et les autres la voulaient. Tout le monde la voulait», a-t-il illustré. Selon lui, le maire Poirier était au courant de cette entente, tout comme France Michaud. Cependant, cette dernière aurait refusé de payer les 75 000$ restants. «Les trois tranches de 25 000$, ça ne s'est pas réalisé», a résumé M. Cloutier.

M. Cloutier poursuivra son témoignage aujourd'hui. Hier, les avocats de la défense se sont opposés plusieurs fois, notamment sur le ouï-dire. «Ce n'est pas la commission Charbonneau ici, ce n'est pas une commission d'enquête. Les règles sont très strictes», a fait valoir Me Luc Carbonneau.

Anxieux, mais... 

À son arrivée, M. Cloutier avait signalé qu'il était prêt à livrer un témoignage solide, mais il a admis qu'il était anxieux depuis un mois.

«Le procès, ça va être différent de la commission Charbonneau, qui a un mandat plus large. Mais je suis très bien préparé, je vais être très précis», a-t-il dit.

Il est à noter que la crédibilité de M. Cloutier avait été entachée à la Commission quand il avait reconnu avoir menti en prétendant être propriétaire d'un chalet luxueux, alors qu'il ne l'était pas.

L'usine: enjeu principal

L'élément principal, celui qui est au coeur du procès, est le contrat de réfection et d'agrandissement du complexe d'épuration des eaux, dont le coût avait considérablement augmenté entre 2005 et 2007, passant de 18 millions à 28 millions. C'est Roche qui a obtenu le mandat de génie, et Infrabec a eu le contrat de réfection, selon les documents produits en cour et le témoignage de la greffière de Boisbriand, Lucie Mongeau.