La dernière journée de la longue canicule qui a touché le Québec a bien failli mal tourner sur une ferme maraîchère de la Rive-Sud. Un travailleur guatémaltèque a été hospitalisé dans un état critique après avoir subi jeudi un grave coup de chaleur pendant qu'il travaillait aux champs, un cas sur lequel se penche la CNESST.

« J'ai vraiment eu peur. Je le tenais par la main pendant que les policiers faisaient les manoeuvres. Je me demandais vraiment s'il allait mourir. » Sylvain Guinois a été durement ébranlé par le malaise subi par l'un des 75 travailleurs étrangers qui travaillent sur sa ferme maraîchère de Saint-Isidore, près de Châteauguay.

Jeudi, les employés de Guinois et Frères étaient en train de récolter de la laitue romaine quand l'un d'entre eux a commencé à se sentir mal, peu après 14 h. La température ressentie atteignait alors 44, soit le plus chaud depuis le début de la canicule qui avait débuté six jours plus tôt.

Pour reprendre des forces, l'homme d'origine guatémaltèque est allé se mettre à l'ombre sur la récolteuse, qui est couverte d'un toit. Mais malgré la pause et l'eau bue, son état a continué à se dégrader. Au point où il a perdu conscience. « Il est tombé dans les pommes », relate Sylvain Guinois.

Rapidement, le travailleur a été placé dans un petit véhicule afin de l'évacuer du champ. Des policiers puis des ambulanciers ont ensuite accouru afin de transporter l'homme à l'hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay. « Je n'ai jamais été aussi content de voir des policiers arriver », dit Sylvian Guinois.

L'état du Guatémaltèque a d'abord été jugé critique à son arrivée à l'hôpital. Après une nuit d'angoisse, les Guinois ont appris hier en journée que son état de santé avait finalement commencé à s'améliorer. « C'est dur. On a passé la nuit à attendre », dit le producteur. Il dit vouloir réintégrer le travailleur lorsqu'il sera remis sur pied, si celui-ci a toujours le goût de continuer.

La voix tremblante, Sylvain Guinois est encore sous le choc et dit que c'est la première fois qu'un événement du genre survient en plus de 25 ans où il recourt à des travailleurs étrangers.

Ils ont beau provenir du Mexique et du Guatemala, les Guinois les considèrent comme des proches. « C'est un peu notre famille. De mars à novembre, c'est notre gang. Oui, ce sont des employés, mais c'est notre gang », dit le producteur en montrant des photos des travailleurs trônant dans son bureau.

MESURES ADÉQUATES ?

Sylvain Guinois estime que son entreprise avait pris les mesures appropriées pour tenir compte de la canicule. Les journées de travail avaient été raccourcies, les pauses, allongées, et de l'eau était distribuée toutes les 15 minutes. Le temps chaud a beau rendre le travail difficile, les légumes ne cessent pas de pousser et doivent être récoltés. 

« On ne peut pas arrêter de produire, mais on améliore les conditions de travail. On réduit la cadence. On s'adapte. » 

- Sylvain Guinois, l'un des propriétaires de la ferme Guinois et Frères

Jeudi, la température ressentie s'est maintenue au-dessus de 40 la majeure partie de la journée dans l'ouest de la Montérégie, et a atteint un sommet de 44 en milieu d'après-midi. Il s'agissait de la deuxième journée parmi les plus chaudes de la canicule qui durait depuis samedi dernier, le 30 juin.

Le producteur espère que la mésaventure servira à sensibiliser les travailleurs aux dangers de la chaleur. « S'il y a quelque chose, dites-le. L'orgueil, ce n'est pas grave », dit-il.

Sylvain Guinois dit être prêt à réviser ses pratiques si la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) lui suggère des améliorations. L'organisation a en effet dépêché deux inspecteurs à la ferme maraîchère hier après avoir été avisée du coup de chaleur subi par le travailleur. Ceux-ci ont rencontré les travailleurs et les gestionnaires de l'entreprise pour éclaircir les circonstances.

« Les deux inspecteurs vont collecter de l'information afin de produire un rapport d'intervention et tenter d'établir les causes pour que ça ne se reproduise pas. »

- Marie-France Roulier, porte-parole de la CNESST

La semaine dernière, en amont de la canicule qui a touché le Québec, la Commission avait envoyé un avis aux employeurs pour les inviter à prévenir les coups de chaleur chez leurs travailleurs. On leur avait suggéré de modifier leurs pratiques en donnant des pauses plus régulières et en s'assurant que leurs employés boivent de l'eau fréquemment.

Les coups de chaleur en milieu de travail ne sont pas rares. La CNESST recense en moyenne 18 cas par an dans la province.

Le cas du travailleur guatémaltèque n'est d'ailleurs pas le seul événement qui soit survenu dans la région durant la canicule, cette semaine. La Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie (CTAM) rapporte qu'une quinzaine de personnes victimes d'un coup de chaleur ont dû être transportées à l'hôpital au cours de la dernière semaine.

Températures maximales en Montérégie

Jour - Température (°C) - Température ressentie (°C)

29 juin - 29,3 - 35

30 juin - 32,0 - 40

1er juillet - 33,1 - 46 

2 juillet - 35,6 - 44 

3 juillet - 31,3 - 37 

4 juillet - 33,2 - 39 

5 juillet - 34,4 - 44 

Source: Environnement Canada, station de Sainte-Clotilde

Photo IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Sylvain Guinois, l'un des propriétaires de la ferme Guinois et Frères

Des pauses et du travail en équipe, recommande la CNESST

Si la Loi sur la santé et la sécurité au travail oblige les employeurs à protéger la santé et assurer l'intégrité physique des travailleurs, aucun chapitre ne concerne spécifiquement la question des conditions météorologiques. Toutefois, la CNESST énumère sur son site internet plusieurs mesures préventives que doivent appliquer les employeurs, ainsi qu'une liste de responsabilités qui incombent aux travailleurs, classées selon un barème de risque aux coups de chaleur. Ainsi, « pour être en mesure de poursuivre les activités », un employeur doit prendre plusieurs précautions, dont « accorder des pauses aux travailleurs toutes les heures et leur interdire de travailler seuls » si le risque d'insolation est élevé. Si « un travailleur doit exécuter une tâche ardue à l'extérieur, en plein soleil » et que le risque de coup de chaleur est très élevé, son employeur devrait donc reporter la tâche ardue à une période plus fraîche de la journée, puis réévaluer le risque, selon un exemple donné par la CNESST.

- Marissa Groguhé, La Presse