Arrivée au Canada en avril par le chemin Roxham, Bukola Babayemi venait tout juste d'emménager dans son nouvel appartement de Saint-Léonard quand son fils aîné de 6 ans, Bukola, s'est noyé dans la piscine. La migrante rêvait d'un meilleur avenir pour ses trois enfants.

Quelques gerbes de fleurs ont été posées autour d'une petite piscine de Saint-Léonard, étrangement calme pour une journée de canicule en plein mois de juillet.

Le plan d'eau est fermé depuis la noyade, lundi, du petit Bukumi Babayemi, âgé de 6 ans.

La mère de Bukumi, Bukola, est arrivée au Canada par le chemin Roxham en avril dernier avec ses trois enfants en bas âge. Ça ne fait pas trois jours qu'ils ont emménagé dans leur modeste appartement du quartier Saint-Léonard.

Il suffit d'ouvrir la porte et d'y jeter un bref coup d'oeil pour en faire le tour ; pas seulement parce qu'il est petit, mais aussi parce qu'il est pratiquement vide. L'entrée donne directement sur le salon, d'où l'on peut clairement voir la piscine où a eu lieu l'accident.

« Dès notre arrivée, Bukumi a demandé d'aller dans la piscine, mais je lui ai dit non. J'étais épuisée par le déménagement, j'avais chaud et je devais m'occuper des deux plus jeunes. » - Bukola Babayemi

La voix de Mme Babayemi tremble lorsqu'elle raconte les événements encore tout frais entourant la mort de son fils. Elle est secouée de sanglots.

La chambre où la jeune mère nous accueille est très petite, trop petite, semble-t-il, pour le simple matelas posé à même le sol et les deux chaises. Dans un placard aux portes brisées, on voit quelques valises pas encore défaites. Comme un rappel que la transition du déménagement n'est pas encore terminée.

Assise sur son lit de fortune, Mme Babayemi joue avec son bébé de 10 mois, Demilade, mais le coeur n'y est pas.

Son fils de 3 ans, Jumiloju, suçote un Popsicle dans la pièce voisine - un salon seulement meublé de deux tabourets -, inconscient du drame qui secoue sa famille depuis lundi.

Dès qu'on prononce le nom de son fils aîné, Bukumi, la mère seule fond en larmes.

« Je suis venue au Canada pour donner un meilleur avenir à mes enfants. Je ne réalise pas ce qui m'arrive », raconte péniblement la femme de 31 ans qui n'a aucune famille ici et une seule amie, qui vient aussi d'arriver au pays.

Après avoir vécu dans un camp de migrants à Saint-Bernard-de-Lacolle, à la frontière, puis plusieurs mois dans un YMCA de la métropole, la famille originaire du Nigeria a posé ses maigres possessions - une grosse valise de vêtements et une poussette - samedi dans un modeste trois et demie non meublé ni climatisé.

En pleine canicule, le logement est un four.

Dimanche, dès que Bukumi a vu la piscine, il a voulu aller s'y rafraîchir, raconte sa mère, qui a fini par acquiescer à sa demande.

Toute la famille s'y est donc rendue une première fois. Deux inconnues se sont gentiment proposées pour donner un cours de natation à l'enfant de 6 ans. Cours improvisé que Mme Babayemi a filmé avec son téléphone.

INCONSCIENT AU FOND DE L'EAU

Aujourd'hui, la maman ne peut réprimer de violents sanglots lorsqu'elle regarde cette vidéo où l'on voit le garçon de 6 ans - tout sourire - nager sur le dos avec l'aide d'une des deux inconnues.

Le lendemain de ce cours de natation improvisé, l'enfant a demandé de retourner jouer dans l'eau. La maman a accepté en ordonnant à son aîné de rester à sa vue. Elle devait alors s'occuper de son fils de 3 ans qui voulait aussi se baigner, tout en jetant un coup d'oeil sur la dernière qui dormait dans la poussette près de la piscine.

« Tout s'est passé très vite. En un clignement des yeux, je ne le voyais plus. J'ai crié à la sauveteuse : je ne trouve pas mon fils », raconte-t-elle. L'enfant a été retrouvé inconscient au fond de l'eau. La sauveteuse a entamé des manoeuvres de réanimation avant que l'enfant ne soit transporté en ambulance à l'hôpital.

À l'hôpital, un médecin a expliqué à la mère de famille que le coeur de son fils ne battait plus. 

« Je n'arrivais pas à y croire », raconte la mère, qui est restée des heures au chevet de son fils « dans l'espoir qu'il se réveille ».

Aujourd'hui, Mme Babayemi est incapable de sortir sur son balcon où elle a une vue directe sur le lieu du drame. Des fleurs et un jouet en peluche ont été déposés près de la clôture de la piscine.

Le père des enfants est injoignable. Il ignore que son fils aîné est mort. Sans papiers aux États-Unis, il n'a pas donné signe de vie depuis des mois.

Arrivée à Houston aux États-Unis en août 2016 avec ses deux fils alors que sa famille avait été menacée au Nigeria en raison de ses croyances religieuses, Mme Babayemi est venue y rejoindre son mari qui avait fui le premier quelques mois plus tôt.

LA FRONTIÈRE TRAVERSÉE À PIED

« On a beaucoup souffert aux États-Unis. Je devais mendier auprès de voisins pour nourrir mes enfants. On n'avait accès à aucun service médical. Quand je suis tombée enceinte de ma fille, je mangeais un seul repas par jour. Je suis tombée malade », décrit-elle.

Après avoir entendu parler en bien du Canada, la mère de famille a décidé que l'avenir serait plus rose de l'autre côté de la frontière.

Enceinte jusqu'aux oreilles, elle a fait des ménages dans des maisons pour accumuler l'argent nécessaire pour faire le voyage. Elle a donné naissance à sa fille aux États-Unis. Quelques mois plus tard, seule avec ses trois jeunes enfants, elle a traversé la frontière à pied comme des milliers de migrants avant elle, à la recherche d'une vie meilleure.

La mère de famille est très reconnaissante de l'aide reçue depuis le drame. Une travailleuse de CLSC quitte son logement au passage de La Presse après avoir évalué ses besoins urgents. « Je suis prête à travailler, à occuper n'importe quel emploi pour offrir un meilleur avenir à mes enfants », lâche-t-elle avant d'éclater en sanglots à nouveau.

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Premiers jours difficiles

« Les premières préoccupations d'une femme nouvellement arrivée sont de payer ses factures, trouver un logement, payer le logement et l'électricité et avoir le strict minimum », affirme Bintou Diallo, responsable des communications et du développement au centre des femmes Afrique au féminin. Ces obstacles délogent même l'éducation des enfants : « Avec toutes ces difficultés, tu n'as même pas le temps de te préoccuper de l'éducation des enfants ou de te demander si les enfants vont être scolarisés, tu n'as pas ce temps-là », ajoute-t-elle.

« La pauvreté et l'insertion sociale sont les vrais problèmes », affirme madame Diallo. Selon les différents acteurs venant en aide aux nouveaux arrivants, trouver un logement, acheter des meubles et dénicher un emploi pour subvenir aux besoins de la famille ne sont que quelques exemples des problèmes qui fragilisent l'intégration.

Les premiers mois après l'arrivée sont une étape difficile, ajoute Rachel Shugart, directrice des communications et du développement au Collectif Bienvenue. Les familles disposent de très peu de temps pour demander de l'aide juridique, obtenir l'assistance d'un intervenant social, trouver un appartement, etc.

Des jumelages profitables

Les nouveaux arrivants sont bombardés d'informations à leur arrivée. Pour leur donner un contact plus concret avec leur société d'accueil, le Collectif Bienvenue jumelle une famille de demandeurs d'asile et un Groupe de Bienvenue. Rachel Shugart estime que « jumeler les familles avec une famille montréalaise qui connaît bien la ville, qui parle français et qui peut les guider dans certaines démarches qu'elles doivent entreprendre, cela aide les familles qui arrivent. On ne s'attend pas à ce que nos familles d'accueil soient des experts, mais elles peuvent aider pour la traduction et être à l'écoute des familles ».

- Avec Bélinda Bélice

Le Collectif Bienvenue - un organisme sans but lucratif qui vient en aide aux familles migrantes nouvellement arrivées à Montréal - est en contact avec la famille Babayemi et coordonne les offres de dons.‎ Vous pouvez joindre le Collectif à l'adresse courriel suivante : info@welcomecollective.org. Voici‎ également l'adresse de leur site Internet : www.welcomecollective.org

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Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Le petit Bukumi Babayemi, 6 ans.

Un cauchemar pour les sauveteurs

Ils n'ont pas 20 ans et ont une énorme responsabilité sur les épaules : sauver des gens de la noyade. Quand le pire survient, le traumatisme est grand pour ces jeunes souvent encore adolescents. Entrevue avec deux psychologues sur les séquelles psychologiques que subissent les sauveteurs lorsqu'un baigneur meurt sous leurs yeux.

Une sauveteuse a tenté sans succès de réanimer le jeune Bukumi avant d'être elle-même transportée en ambulance pour un choc nerveux. Le petit garçon n'a pas survécu. Comme d'autres sauveteurs avant elle, elle devra vivre avec ce souvenir troublant.

« [Ces jeunes] vont revisiter l'évènement traumatique et se demander : "où est-ce que j'ai failli ?" Ça va être une scène qui va tourner en boucle, sans cesse. Et ça, c'est très douloureux », relate la Dre Pascale Brillon, professeure au département de psychologie de l'UQAM.

En 25 ans de pratique auprès de gens souffrant de stress post-traumatique, la psychologue a vu nombre de cas : des policiers, des militaires, des pompiers, mais aussi des sauveteurs.

Les surveillants-sauveteurs victimes d'un syndrome de stress post-traumatique vont avoir de la difficulté à voir une piscine, leur maillot ou encore le même maillot que la personne qui s'est noyée, selon la Dre Pascale Brillon.

« Si ça arrive à quelqu'un de 55 ans [la personne va dire] : j'ai su dans ma vie prendre des responsabilités, les accidents peuvent arriver. Mais quand ça arrive à un jeune, le danger, c'est de généraliser », expose l'experte. Les sauveteurs risquent alors de se dire qu'ils ne sont pas capables de prendre des responsabilités, que la vie en générale est injuste.

« Un facteur qui est très particulier, c'est la culpabilité », affirme la Dre Christine Grou, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. « La culpabilité des personnes qui étaient en charge et qui sont très jeunes. »

La psychologue souligne qu'un autre facteur de risque de développer un syndrome de stress post-traumatique n'est pas tant l'âge que l'immaturité émotionnelle de la personne. « À 15-16 ans, on a plus de difficulté à réguler ses émotions qu'à 25-30 ans. Mais l'âge n'est pas un facteur », conclut-elle.

Évidemment, ce ne sont pas toutes les personnes exposées à la mort ou à la violence qui vont développer un syndrome de stress post-traumatique. « Il est toujours trop tôt pour parler d'un syndrome de stress post-traumatique dans les premières semaines. Au début, les gens sont susceptibles de développer un syndrome de stress aigu. Quand ces éléments-là perdurent, on parle de stress post-traumatique », souligne la Dre Grou en ajoutant que de l'aide existe pour les personnes touchées.

En ce sens, la thérapie sur le stress post-traumatique se montre très efficace sur les patients, selon la Dre Brillon. « On veut qu'ils recommencent à vivre, à espérer, à faire confiance, qu'il y ait une vie après le trauma », raconte avec optimisme la psychologue.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Des employés du complexe d'habitation inspectent la piscine.