La femme est manifestement intoxiquée ou en manque. Elle hurle à s'en défoncer les poumons, lance des assiettes, détruit un barbecue. Un homme surgit, furieux : il la frappe à coup de pelle. La femme se dénude et lui fait une proposition sexuelle explicite. Tout cela se déroule sous le regard d'enfants habitant l'immeuble voisin, témoins de ces scènes profondément dérangeantes.

Des images comme celles-ci, tournées en mai dernier, c'est le quotidien des locataires du 4811, avenue Barclay. Depuis trois ans, ceux qui ont emménagé dans l'immeuble d'appartements - tout récent et très beau - géré par l'Office municipal d'habitation de Montréal (OMHM) sont les témoins impuissants de bruyantes fêtes quotidiennes et de gestes de violence et de criminalité dans la grande cour qui appartient à l'immeuble voisin, le 4821.

Bienvenue dans l'enfer du « Mama's Backyard », tel que le surnomment les policiers depuis 2015. Ce surnom vient du fait qu'à l'époque, la mère d'un homme connu des services policiers habitait dans l'un des logements de l'immeuble et donnait accès à la cour à une faune peu recommandable.

« Ça commence le matin et ça se poursuit jusqu'aux petites heures. Ils consomment, ils sont intoxiqués, il y a de la violence, des scènes à caractère sexuel. C'est un lieu de rassemblement pour tout le quartier », explique un locataire, qui a refusé que son nom soit publié parce qu'il craint que ses voisins ne s'en prennent à lui s'ils découvrent son identité.

Ce locataire a été confronté à la situation quelques mois après son arrivée, au printemps 2014. Les fêtes étaient si fréquentes que les voisins ont installé une bâche afin de se protéger de la pluie. Ils ont également construit des meubles de jardin sommaires. Des feux sont régulièrement allumés dans la cour. Au petit matin, des caisses de bière traînent un peu partout dans la cour.

« Ils écoutent la musique tellement fort que je l'entends même si mes fenêtres sont fermées. Ils crient, ils hurlent. La situation est hors de contrôle ! Cet immeuble est devenu un véritable ghetto. » - Le locataire qui s'est entretenu avec La Presse

Même si le conseiller municipal du district, Marvin Rotrand, minimise le problème en affirmant que ce locataire est le seul à se plaindre de la situation, force est de constater que les plaintes pleuvent, depuis trois ans, en ce qui concerne le 4821, avenue Barclay. Entre le mois d'avril 2015 et la fin de 2017, on a dénombré 163 appels au 911 concernant l'immeuble. Onze locataires de l'immeuble ont signé une pétition en 2016. Sur les 21 logements qui donnent sur la cour, quatre locataires ont déménagé au cours des dernières années.

Les policiers ont rédigé 43 rapports en deux ans sur l'endroit. Ils y constatent entre autres du trafic de stupéfiants, de la violence conjugale, des personnes atteintes de troubles mentaux en crise, des armes à feu déchargées, des voies de fait.

« Nous avons reconnu plusieurs sujets connus du secteur », notent les patrouilleurs en juillet 2016. L'un de ces « sujets » reconnus par les policiers, Leroi Carr, a un lourd passé judiciaire. Depuis 2000, il a fait face à plusieurs accusations de possession de stupéfiants, de voies de fait, d'agression armée et de non-respect de conditions. En 2017, il occupait lui-même l'un des appartements du 4821, avenue Barclay.

TOUS IMPUISSANTS

Mais le problème du « Mama's Backyard » n'est pas facile à régler. « Les troubles viennent du voisin. On n'a pas le pouvoir d'intervenir. Mais on est très conscients de la problématique », dit Mathieu Vachon, directeur des communications de l'OMHM. L'office a tout de même mis en demeure le propriétaire de l'immeuble voisin de régler ses problèmes. Cependant, aucune action n'a été entreprise par la propriétaire, Sau Lenh Vong, qui habite à Laval. « Disons que le propriétaire n'est pas très coopérant », résume M. Vachon. La propriétaire n'a pas donné suite à nos appels.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est lui aussi intervenu. Diverses actions ont été entreprises dès le printemps dernier afin de faire en sorte que la population se réapproprie le parc Nelson-Mandela, qui jouxte cette fameuse cour. 

« Les familles n'allaient plus dans le parc. Il y avait de la vente de drogue qui se faisait à travers les clôtures. Il y a une école à proximité, des garderies... Ça devenait problématique. » - Sébastien de Montigny, commandant du poste de quartier

L'an dernier, dès le retour du beau temps, « on a voulu occuper le terrain », explique-t-il. On a rasé des broussailles qui isolaient certaines cours. On a éclairé davantage, organisé des événements familiaux dans le parc. Les actions policières ont culminé en juillet, avec une frappe dans le secteur. Cinq personnes ont été arrêtées pour trafic de drogue. « On n'a jamais lâché ! », résume le commandant.

Mais la frappe n'a eu qu'un effet temporaire, témoigne le locataire que nous avons rencontré. « Ça a été tranquille pendant quelques jours... et puis ça a repris. Ça fait trois étés qu'on est exposés à tout cela. Je ne veux pas en vivre un quatrième. » La seule option, déménager ? « Je refuse de quitter ce logement-là. Il faut que les choses changent ! », s'exclame le locataire, qui a fini par porter plainte devant la Régie du logement pour obtenir une diminution de loyer.

La mairesse de l'arrondissement, Sue Montgomery, est d'accord : déménager ne réglera rien. Après que La Presse l'a contactée pour ce reportage, elle a pu parler à la propriétaire. Cette dernière l'a informée qu'un locataire problématique avait été expulsé et qu'elle envisageait de transformer la cour en stationnement. Mme Montgomery promet de suivre la situation de près dès le retour du beau temps. « Cette situation est horrible, dit-elle. Personne ne veut vivre à côté de ça. Les locataires ont le droit de vivre là en paix. »