Peu avant sa mort, Reet Jurvetson a envoyé une carte postale à ses parents à Montréal. Elle allait bien, écrivait-elle. Elle vivait dans un bel appartement à Los Angeles. Ils ne devaient pas s'inquiéter. La famille n'a plus jamais reçu de nouvelles.

Le même automne de 1969, un passant a découvert le corps ensanglanté d'une jeune femme dans des buissons bordant la célèbre Mulholland Drive, aussi à Los Angeles. Le coroner a déterminé qu'elle avait été poignardée au moins 150 fois.

La victime n'avait aucune pièce d'identité. Seuls indices : un jeans de marque Levis fait à Boston, des bottes italiennes et un manteau de velours côtelé bleu fabriqué à Montréal.

Pour la police, elle est devenue Jane Doe #59. L'affaire a été classée comme non résolue. 

Jusqu'à ce qu'un ami de la famille Jurvetson tombe par hasard, en juin dernier, sur l'image du cadavre d'une brune aux yeux verts ressemblant en tout point à la disparue sur un site américain de personnes disparues et non identifiées. L'ami a pris contact avec la famille. Un test d'ADN a confirmé le pire. Reet avait été sauvagement assassinée.

« Quelle chose horrible de découvrir qu'elle est morte comme ça. On n'a jamais soupçonné qu'elle avait été tuée », a confié la belle-soeur de la victime, Tiiu Mannistu, jointe par La Presse à son domicile de Silicon Valley, aux États-Unis. 

« La seule chose qui me console, c'est que sa mère est morte avant de savoir ce que sa fille avait subi. Elle a été épargnée », a ajouté Tiiu Mannistu.

Le mari de Tiiu, Tony, le frère aîné de Reet, est mort l'an dernier, lui aussi sans connaître le sort de sa soeur.

46 ANS D'ATTENTE

Durant près de 50 ans, les proches de la jeune femme, des Estoniens réfugiés à Montréal en 1951 après la Seconde Guerre mondiale, se sont demandé ce qu'était devenue la cadette de la famille.

Au début, ils ont simplement cru que Reet souhaitait voler de ses propres ailes, raconte sa soeur Anne dans un long texte hommage publié sur l'internet. Ses parents n'ont pas signalé sa disparition.

« Les mois et les années ont passé, et nous avons imaginé qu'elle s'était bâti une nouvelle vie, écrit Anne. Je me souviens que ma mère communiquait régulièrement avec des amis pour savoir si quelqu'un avait reçu des nouvelles. Nous espérions toujours qu'elle rétablirait le contact avec les amis et la famille. Mais personne n'a jamais eu aucune information. Personne n'a soupçonné qu'elle avait été tuée. »

Puis, avec le temps, Anne s'est résignée. « Bien que notre famille ait continué à espérer qu'un jour, Reet reviendrait à la maison, je suis finalement arrivée à la conclusion qu'elle était probablement décédée. »

PARTIE REJOINDRE « JEAN »

Enfant, Reet avait le goût de l'aventure.

Arrivée à Montréal à l'âge de 1 an, plus jeune d'une famille de trois enfants, elle est partie vivre à Toronto avec sa grand-mère dès son secondaire terminé. Là, elle travaillait pour Postes Canada.

Anne se souvient d'une jeune femme « portée sur les arts, heureuse et libre d'esprit », mais aussi « naïve et qui faisait confiance aux autres ».

À l'automne 1969, à l'âge de 19 ans, l'adolescente s'est rendue à Los Angeles pour « visiter des amis », raconte Tiiu Mannistu.

C'est à cette époque qu'elle a écrit à ses parents pour leur dire où elle vivait. Dans sa carte postale, elle a donné peu de détails sur sa vie en Californie, mais la police croit qu'elle y était avec un dénommé Jean, ou John, un homme rencontré à Montréal.

« Nous savons qu'elle est venue à Los Angeles pour rejoindre cet homme. Si quelqu'un connaît cette personne ou se souvient d'elle, c'est le genre d'information dont nous avons besoin pour redémarrer l'enquête », a expliqué à La Presse le détective Luis Rivera, qui est aujourd'hui responsable du dossier. Jean est considéré comme une « personne d'intérêt » par les autorités.

UNE VICTIME DE CHARLES MANSON ?

Mais une autre possibilité est explorée par la police de Los Angeles.

À l'époque de la mort de Reet Jurvetson, les États-Unis étaient sous le choc des meurtres gratuits et ultraviolents commis par les disciples du gourou Charles Manson, le leader d'une secte qui a été reconnu coupable d'avoir commandité plusieurs assassinats, dont celui de l'actrice américaine Sharon Tate, femme du réalisateur Roman Polanski, alors enceinte de huit mois.

La Montréalaise est-elle une de ses victimes ?

Certains des crimes de la bande de Manson ont été commis à une courte distance de voiture de l'endroit où sa dépouille a été abandonnée.

Avec sa partenaire Veronica Conrado, le détective Rivera s'est d'ailleurs rendu en prison récemment pour interroger le criminel, aujourd'hui âgé de 81 ans. Il n'a fourni aucune information concluante.

« Présentement, il n'y a aucun lien avec les meurtres de Manson, précise le détective Luis Rivera. La seule raison pour laquelle cette piste a été étudiée, c'était en raison de la période en cause. Mais nous n'écartons aucune piste tant que nous n'avons pas une preuve du contraire. »

Après la mort de Reet, un témoin présent au ranch habité par Manson et ses disciples avait dit reconnaître Reet Jurvetson et l'avoir vue dans l'entourage de l'assassin. L'enquête a démontré qu'il s'était trompé de personne.

La sauvagerie et l'acharnement démontrés par le tueur ainsi que l'absence de vol des quelques possessions de la victime laissent toutefois croire aux policiers que le crime est l'oeuvre d'un maniaque ou a été motivé par une histoire de coeur.

« Jane Doe #59 a maintenant un nom, écrit Anne. Elle en a toujours eu un, mais personne ne le savait. » Maintenant que sa soeur a été identifiée, elle espère que justice sera rendue.

L'enquête se poursuit. « Dans tout dossier, tant que nous avons un indice, nous allons continuer à nous en occuper », assure-t-il.

Les détectives Luis Rivera et Veronica Conrado peuvent être joints à l'unité des crimes non résolus du LAPD au 213 486-6818.