Depuis qu'il a pris en charge l'enquête sur les allégations d'inconduite de policiers de la Sûreté du Québec (SQ) à l'encontre de femmes autochtones de la région de Val-d'Or, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a identifié 30 victimes potentielles qui racontent avoir été enlevées, séquestrées, avoir subi des voies de fait ou des agressions sexuelles, révèlent des documents judiciaires obtenus par La Presse. Voici un résumé en quatre temps de ce que nous avons obtenu.

La genèse d'une enquête

Les déclarations assermentées d'un sergent-détective du Service de police de la Ville de Montréal assigné au dossier retracent la genèse de l'enquête, que Québec a confiée au SPVM au lendemain de la diffusion d'un reportage à Radio-Canada dans lequel plusieurs femmes autochtones dénonçaient des abus policiers dans la région de Val-d'Or. Les enquêteurs montréalais ont d'abord récupéré le matériel accumulé par la Sûreté du Québec, qui avait démarré une enquête interne à ce sujet le 12 mai 2015. Ils ont ensuite activé une ligne téléphonique destinée à recevoir toutes les dénonciations. Les centres communautaires qui travaillent avec les autochtones ont été mis à contribution pour rejoindre les populations locales. Rapidement, plusieurs témoignages ont été recueillis. Après un premier triage, le SPVM a ouvert 38 dossiers pour des événements qui concernent 30 victimes alléguées d'une série de crimes.

Un mystérieux retraité

L'un des suspects que le SPVM tente de retracer est un mystérieux retraité, que plusieurs femmes croyaient être un ex-policier, mais qui n'aurait pas travaillé à la SQ. Une plaignante, qui lui avait offert des services de prostitution à quelques reprises, a raconté avoir eu un « blackout » après avoir consommé de l'alcool avec lui, et s'être réveillée dans le bois, le pantalon baissé, les vêtements déchirés, avec des traces de violence, en 2008. Une infirmière du CLSC a dit avoir entendu parler d'un policier retraité qui accueillait des filles chez lui pour les habiller en uniforme, le temps de séances de photos coquines. Une autre femme a parlé de prostituées qui étaient invitées chez lui pour consommer des stupéfiants. Les enquêteurs ont épluché les listes de tous les policiers de la SQ qui ont habité le coin, tous les retraités de l'ancienne police municipale de Val-d'Or, tous les trappeurs de la région (le suspect pratiquait apparemment la trappe), tous les registres de la Société de l'assurance automobile : sans trouver trace de leur homme. C'est une des raisons pour lesquelles le SPVM a demandé une ordonnance à la cour : afin de pouvoir obtenir toutes les données de l'École nationale de police et tenter d'y découvrir un diplômé qui correspond au profil en question.

Vérifications poussées

Les documents d'enquête énumèrent les nombreuses techniques d'enquête utilisées dans ce dossier afin d'étayer et de valider les témoignages des plaignantes et des témoins. De nombreuses entrevues ont été réalisées, des registres ont été demandés chez des fournisseurs afin d'essayer de déterminer la position de personnes à certains moments. Des albums photo ont été montrés aux victimes alléguées pour voir si elles reconnaissaient un agresseur. Le SPVM a même demandé une ordonnance judiciaire afin que la SQ lui fournisse l'historique de géolocalisation d'une voiture de patrouille mise en cause dans l'un des cas qui font l'objet d'une enquête.

Des écueils

Les enquêteurs ont toutefois rencontré certaines difficultés lorsque venait le temps de vérifier les affirmations des plaignantes ou des témoins. De l'aveu même des plaignantes, certaines ont du mal à démêler leurs souvenirs, parfois en raison d'un historique de consommation de drogues et d'alcool. D'autres livrent des témoignages qui se contredisent sur les lieux, les dates, les saisons. Une des plaignantes qui croyait connaître le nom d'un policier l'ayant rudoyée a été incapable de le reconnaître lorsqu'on lui a montré la photo de l'agent en question. Selon nos informations, deux policiers qui avaient été suspendus en raison d'allégations ces derniers mois ont d'ailleurs été blanchis de tout soupçon et pourront réintégrer leur poste. Les preuves amassées démontrent qu'il était impossible qu'ils soient mêlés aux gestes reprochés. Les dossiers demeurent malgré tout ouverts, et des agents travaillent toujours à bonifier la preuve.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud