Des travaux exécutés sur le vaste chantier de l'échangeur Turcot ont bien failli coûter la vie à une femme qui circulait rue Saint-Jacques, en novembre dernier. Elle est passée à un cheveu de se faire empaler par une tige d'armature d'acier d'un mètre « propulsée » sur son pare-brise pendant le déplacement de morceaux de béton. Or, même si l'entrepreneur n'avait pas érigé de mur de protection réglementaire, aucun constat d'infraction ne lui a été délivré.

« Elle a été très chanceuse ! », a répété Laurent Gingras, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). La tige d'armature du chantier de construction a « perforé le pare-brise du côté du conducteur », alors que la femme circulait en direction est dans la rue Saint-Jacques, entre la rue Saint-Rémi et le boulevard Décarie, le 10 novembre dernier, vers 15 h 25.

Par miracle, la barre métallique est passée tout juste à la droite de son visage et s'est retrouvée à l'arrière du véhicule, du côté du passager. Sous le choc, la conductrice a appelé le 911. Mais elle était tellement ébranlée que les policiers l'ont transportée eux-mêmes à l'hôpital pour traiter son choc nerveux, puisque l'ambulance tardait à arriver. Aucune infraction criminelle n'a été commise dans cette affaire, selon le SPVM.

Une tige de métal projetée

Ce jour-là, l'entreprise L.A. Hébert cassait la dalle de béton d'une partie de la rue Saint-Jacques dans le cadre du projet de réaménagement des rues Saint-Jacques, Saint-Rémi et Pullman, un projet de 57 millions. C'est alors qu'on ramassait avec une pelle mécanique des morceaux de béton brisés au marteau hydraulique qu'une tige d'armature s'est transformée en projectile.

Or, le béton devait contenir uniquement du treillis métallique. Les tiges d'armature avaient donc été ajoutées lors de travaux de réfection précédents. « Les tiges d'armature, c'est plus massif que du treillis métallique. Il y a donc une de ces tiges-là qui n'a pas été sectionnée. Elle a été soumise à une tension, et quand la pelle a ramassé des débris, la tige a été propulsée à l'extérieur du chantier, au moment où l'automobiliste circulait », explique Patricia Darilus, porte-parole de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST, auparavant la CSST).

Briser du béton avec un marteau hydraulique n'a rien d'« inhabituel », soutient Patricia Darilus. Après la suspension des travaux, l'entrepreneur L.A. Hébert a toutefois privilégié une méthode « plus appropriée » dans les circonstances, en découpant le béton en blocs pour s'assurer de couper toutes les tiges.

Deux jours après l'accident, un inspecteur de la CNESST a donné quatre jours à l'employeur et au ministère des Transports du Québec (MTQ) pour ériger un « écran de protection dans la zone des travaux sur la rue Saint-Jacques », peut-on lire dans le rapport d'intervention obtenu par La Presse. Ce qui a été fait.

« Si le mur avait été érigé, l'accident aurait fort probablement été évité pour la conductrice », estime Patricia Darilus, porte-parole de la CNESST.

Même si les travaux de cassage de béton étaient exécutés à seulement trois mètres de la voie publique, seul un muret « Jersey » d'un mètre protégeait les piétons et les automobilistes. Or, l'article 2.7.2 du Code de sécurité pour les travaux de construction oblige l'installation d'un mur de protection de trois mètres quand la voie de circulation se trouve à deux mètres et plus. « Il aurait dû y avoir un mur de protection d'érigé plus haut que le Jersey », ajout Mme Darilus.

Malgré cette grave entorse à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, l'entreprise L.A. Hébert s'en tire sans amende. « L'opportunité d'émettre un constat [d'infraction] dépend de plusieurs critères. Dans ce cas précis, la direction n'a pas jugé approprié de le faire. Il y a plusieurs critères qui sont pris en ligne de compte », explique Patricia Darilus. « La santé et la sécurité du public, c'est quelque chose d'important pour la CNESST », assure-t-elle.

Les travaux de démolition de la rue Saint-Jacques sont actuellement suspendus en raison des travaux de réfection d'une conduite d'égout.

Le MTQ n'était toujours pas en mesure de répondre à nos questions hier, malgré un délai de deux jours. L.A. Hébert n'avait pas rappelé La Presse hier après-midi.