Rarement un procès et son verdict auront-ils suscité autant de passions et d'indignation que dans l'affaire Guy Turcotte. Ce cardiologue, qui a poignardé ses deux enfants à mort en février 2009, est libre maintenant. Mais il pourrait faire face de nouveau à la justice. Estimant que des erreurs ont conduit à un verdict de non-responsabilité criminelle, la Couronne tente d'obtenir un nouveau procès. L'affaire sera entendue lundi, en Cour d'appel.

Déclaré non responsable des meurtres de ses deux enfants au terme de son procès, en 2011, Guy Turcotte sera-t-il jugé une deuxième fois?

C'est ce que la Cour d'appel devra décider après avoir entendu les parties, la semaine prochaine. Les directives que le juge Marc David a données en juin 2011 au jury, avant d'envoyer celui-ci en délibération, seront l'épine dorsale des discussions. L'état mental de M. Turcotte est bien sûr l'enjeu de ces questionnements.

La Couronne, représentée par Me Michel Pennou, déploiera tous ses arguments pour convaincre le plus haut tribunal de la province que le juge a fait des erreurs de droit fatales dans ses directives, et que le seul moyen de les réparer est la tenue d'un nouveau procès.

Me Pierre Poupart, pour la défense, s'emploiera à démontrer que les directives étaient appropriées, et qu'il faut laisser les choses telles qu'elles sont. Au pire, si la Cour d'appel venait à ordonner un nouveau procès, celui-ci devrait être tenu sur des accusations «d'homicides involontaires coupables», et non de meurtres prémédités comme ç'a été le cas lors du procès précédent. Le jury a déjà décidé que M. Turcotte n'avait pas l'intention requise pour commettre des meurtres, argue Me Poupart dans son mémoire.

LES VERDICTS QUI ONT ÉTÉ OUVERTS PAR LE JUGE

1 non-responsable criminellement pour cause de trouble mental (article 16 du Code criminel)

2 coupable de deux meurtres prémédités

3 coupable de deux meurtres non prémédités

4 coupable de deux homicides involontaires

SURVOL DES ERREURS INVOQUÉES PAR LA COURONNE

1 Le juge n'aurait pas dû ouvrir le verdict de non-responsabilité criminelle. Le trouble mental qui affectait Guy Turcotte, soit le trouble d'adaptation, n'est pas assez invalidant pour entraîner la non-responsabilité criminelle. Le fait qu'il avait avalé du lave-glace et que cela a pu contribuer à lui troubler l'esprit est un aspect qui ne devait pas être retenu. Il s'agissait d'une intoxication volontaire, et la Cour suprême a décrété que c'était incompatible avec une défense de troubles mentaux. La Couronne énonce à ce sujet le jugement Bouchard-Lebrun, rendu peu de temps après l'affaire Turcotte.

2 Le juge n'aurait pas suffisamment instruit le jury sur la notion de trouble mental s'appliquant à la non-responsabilité.

3 Le juge n'aurait pas passé en revue les parties essentielles de la preuve, et fait les liens entre la preuve pertinente à la défense de troubles mentaux et le droit en matière de non-responsabilité criminelle. Le jury se serait ainsi retrouvé avec «trois témoignages d'experts longs, denses et complexes, et exprimés dans un langage abscons».

SURVOL DES ARGUMENTS DE LA DÉFENSE

1 La Couronne avance des arguments contraires à sa position lors du procès. En 2011, elle était d'accord pour soumettre la défense de trouble mental au jury. Et elle s'est efforcée de minimiser le degré d'intoxication de l'accusé, car elle voulait démontrer qu'il avait la capacité de juger de la nature et de la portée de ses actes.

2 L'intoxication comme facteur "contributif" n'empêche pas la défense de trouble mental. Dans le jugement Bouchard-Lebrun, invoqué par la Couronne, la psychose toxique du jeune accusé avait été induite "exclusivement" par l'intoxication volontaire. Ce qui n'est pas le cas de M. Turcotte.

3 La Couronne confond les rôles du juge et du jury. C'est le juge qui décide si l'état dans lequel l'accusé prétend qu'il se trouvait au moment des faits constitue un trouble mental au sens de l'article 16 du Code criminel. Le jury, ultimement, décide de ce qu'il croit.

4 En ce qui concerne les directives inadéquates, le juge du procès n'est pas tenu à la perfection dans la formulation de ses directives. «L'accusé a droit à un jury qui a reçu des directives appropriées, et non à des directives parfaites», rappelle Me Poupart.

LE PROCÈS EN BREF

> Le drame est survenu le 20 février 2009, à Piedmont.

> Dans un contexte de séparation d'avec sa conjointe, Guy Turcotte, cardiologue âgé de 36 ans à ce moment, a poignardé à mort son fils Olivier, 5 ans, et sa fille Anne-Sophie, 3 ans.

> Le procès s'est déroulé au palais de justice de Saint-Jérôme. Il a commencé le 12 avril 2011 avec le choix du jury et s'est conclu le 5 juillet avec le verdict.

> Guy Turcotte a admis dès le début du procès qu'il avait tué ses enfants.

> Au total, 39 témoins ont été entendus, dont 3 experts psychiatres qui ont donné leur avis sur l'état mental de l'accusé au moment des faits. Deux ont témoigné pour la défense et un pour la Couronne.

> Guy Turcotte a témoigné pendant huit jours.

> La défense a plaidé pendant trois jours et demi. La Couronne a plaidé une demi-journée.

> Le jury de 11 personnes (1 a été exclue pendant le procès pour cause de partialité) a rendu son verdict au sixième jour de ses délibérations.