Dans une vaste fraude organisée comme on en voit rarement, près de 80 employés de la même entreprise de Montréal auraient fait de fausses réclamations et soutiré à la compagnie d'assurance vie et collective Great-West Life près de trois quarts de million de dollars au début des années 2010. Patients et méthodiques, les enquêteurs de la section des fraudes du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont récemment parvenus à remonter la filière et à faire autoriser des accusations contre 35 personnes.

La présumée fraude s'est principalement étalée du début de l'année 2011 jusqu'à la fin de 2012. Cela a pris un certain temps avant que les responsables de la compagnie Great-West s'en rendent compte et constatent qu'il y avait un fil conducteur : toutes les personnes, ou presque, qui faisaient de fausses réclamations travaillaient pour l'entreprise de télécommunication par satellite Shaw Direct, qui a une succursale à Montréal et un contrat d'assurance collective avec la Great-West.

L'ampleur de la fraude était telle que les dirigeants de la Great-West ont déposé une plainte à la section des fraudes financières du SPVM en mars 2013. Malgré le temps écoulé, la justice a eu le bras long.

Le stratagème

Le cerveau serait un ancien employé de Shaw Direct. Il aurait convaincu deux employés toujours en poste de recruter des collègues pour faire de fausses réclamations de frais dentaires à la Great-West.

Dans la plupart des cas, les employés complices ont réclamé des remboursements pour des traitements de canal qu'ils n'ont jamais reçus. Ils auraient donné leur numéro d'identification personnel d'employé et leur mot de passe à leurs deux mentors, qui auraient rédigé les faux formulaires de réclamation. Ces demandes de règlements se faisaient par formulaire électronique internet ou par l'envoi par courrier ordinaire des factures et documents appropriés.

50% aux chefs présumés

L'enquête révèle que le remboursement le plus important fait à un employé complice a été de 29 000 $ et le plus petit, d'environ 4500 $. Selon la police, le montant total de la fraude s'élèverait à 693 675 $.

Lorsqu'ils auraient reçu leur chèque de remboursement, les employés complices auraient conservé la moitié de la somme et auraient remis l'autre moitié à leurs deux mentors. Par la suite, ceux-ci auraient versé sa part au présumé cerveau de l'arnaque. Le pourcentage reçu par ce dernier n'a pas été précisé, mais les enquêteurs ont été en mesure d'établir qu'il aurait reçu 94 000 $ en moins d'un an.

88 employés soupçonnés

Les policiers croient que 88 personnes auraient pris part à l'arnaque, mais ils ont obtenu du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) que des accusations soient déposées contre environ 35 personnes, dont les trois têtes dirigeantes présumées.

Toutes ces personnes comparaîtront par voie de sommation au palais de justice de Montréal le mois prochain. En gros, les 35 suspects sont accusés d'une fraude de plus de 5000 $, de fabrication de faux documents et d'utilisation de documents qu'ils savaient faux.

Têtes dirigeantes présumées

Les trois personnes soupçonnées d'être les têtes dirigeantes font toutefois face à une accusation supplémentaire de complot. Celui que la police croit être le cerveau de l'arnaque, Ziad Khatib, 47 ans, a déjà été accusé de fraude en 2012 et a reçu une absolution conditionnelle assortie d'une probation de 15 mois. Cet antécédent pourrait expliquer pourquoi il ne travaillait plus pour l'entreprise de télécommunication.

Selon la police, ses deux acolytes seraient Jean-Claude Bucyana, 41 ans, et Dimitri Gusev, 29 ans. Ils ont quelques antécédents criminels, mais, à première vue, rien de majeur.

Congédiements massifs

«En décembre 2012, Shaw Direct a effectué une enquête interne relativement à de fausses réclamations d'assurances faites par un groupe spécifique d'employés. Ceux-ci ont été immédiatement congédiés. Puisqu'il s'agit d'une enquête interne impliquant des employés, nous ne ferons aucun autre commentaire», a indiqué à La Presse Chethan Lakshman, vice-président aux affaires externes chez Shaw Direct.

«On voit parfois deux ou trois employés d'une même compagnie qui font ce genre de fraude, mais une aussi vaste et organisée, on n'a jamais vu ça. Nos enquêteurs ont travaillé très fort», a déclaré le commandant Juan Francisco Vargas, de la Division des crimes contre la propriété du SPVM.

Pas un crime sans victime



De son côté, une porte-parole de la Great-West a répondu à La Presse que la compagnie ne commentait jamais les enquêtes en cours. «Nous prenons les cas de fraude au sérieux et nous avons élaboré et mis en oeuvre des fonctionnalités sophistiquées pour la prévention et la détection de la fraude à l'assurance. La fraude à l'assurance n'est pas un crime sans victime. Notre objectif est de voir à ce que la fraude soit éliminée puisque son coût peut avoir une incidence sur la prime que les employeurs et les employés paient pour leurs régimes d'assurance collective», a indiqué, par courriel, M. Jeff Macoun, vice-président exécutif, Client collectif, de la Great-West.

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Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.