Les syndicats des gardiens de prison provinciaux et fédéraux pressent les gouvernements d'agir face à la menace de plus en plus importante que représentent les livraisons par drones. Au moins deux soulèvements liés directement aux drones sont survenus cette semaine au pénitencier de Donnacona et à l'Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux).

Les drones sont à l'origine d'incidents qui menacent leur intégrité physique, déplorent les agents des services correctionnels. Ceux-ci ne se demandent plus si un jour un drone livrera une arme de poing entre les murs d'un établissement, mais plutôt quand cela arrivera.

« Je trouve aberrant l'immobilisme du ministère de la Sécurité publique. Ce n'est pas la première fois que l'on parle des drones et il n'y a rien qui se fait. On nous répond toujours que c'est à l'étude, mais on sait que c'est une question d'argent. Mais quand c'est rendu que cela cause des blessures à nos agents, c'est assez », affirme Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec.

« Nous répertorions de plus en plus souvent des vols de drones dans les pénitenciers. Les drones peuvent transporter des poids de plus en plus lourds », renchérit son collègue des établissements fédéraux, Francis Picotte.

Dimanche soir, une rixe entre détenus et gardiens a eu lieu au pénitencier de Donnacona en raison d'un confinement qui perdure à la suite d'une livraison par drone.

Mercredi matin, quelques gardiens de la prison de Bordeaux ont été légèrement blessés lors d'un soulèvement dans le secteur A00. Les gardiens avaient obtenu une information selon laquelle des détenus de l'aile A5 auraient trafiqué leur fenêtre de façon à pouvoir récupérer des colis livrés par drone. Les autorités ont ordonné une fouille dans le secteur et une quarantaine de détenus ont été déplacés temporairement au A00. C'est à ce moment qu'un soulèvement a éclaté. Des détenus ont lancé des objets vers les gardiens qui ont répliqué en utilisant leurs bombes de gaz poivré. Les blessures sont survenues lors d'échanges de coups entre gardiens et détenus. Lors de la fouille, des batteries de téléphones cellulaires ont été trouvées dans l'aile A5.

DROGUES DURES

En plus des armes potentielles, les responsables des syndicats des agents correctionnels provinciaux et fédéraux s'inquiètent que les drones facilitent l'entrée de drogues dures comme le fentanyl dans les établissements. Ils constatent que les téléphones sont de plus en plus petits et intelligents, et permettent aux détenus de poursuivre leurs activités criminelles entre les murs et de planifier des livraisons par drones.

« Nous sommes en train d'étudier la possibilité de déposer des plaintes en matière de santé et de sécurité au travail. »

- Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec

Des membres de son syndicat ont confié à La Presse être prêts à exercer leurs droits de refus « pour forcer l'administration à prendre les choses au sérieux et à investir dans l'accroissement de la sécurité des bâtiments et des cours ».

« Nous demandons aux services correctionnels de trouver des solutions. Le gouvernement doit minimalement verser plus d'argent pour financer les recherches pour améliorer nos contre-mesures », dit pour sa part Francis Picotte, vice-président du Syndicat des agents correctionnels du Canada, affilié à la CSN.

« Service correctionnel Canada [SCC] examine régulièrement l'utilisation d'outils de sécurité innovateurs pour améliorer sa capacité à limiter les incidents et prévenir les infractions liées à la sécurité. Prévenir et réduire la présence d'objets interdits et de substances illicites dans nos installations est une priorité », affirme la porte-parole de SCC, Line Dumais.

De son côté, le ministère de la Sécurité publique affirme que les événements de mercredi matin à la prison de Bordeaux ne sont pas liés à un drone.

Le Ministère se dit « préoccupé » par l'utilisation de cette technologie et affirme que la solution passe par un ensemble de mesures, dont l'installation de grillages sur les fenêtres de certains secteurs des établissements de la région de Montréal.

Des mesures proposées par des gardiens

• Aménagement de grandes salles fermées, avec une seule extrémité ouverte et grillagée, en lieu et place des cours extérieures

• Fouille systématique des détenus après une livraison

• Modification des fenêtres

• Installation de filets

• Mise en fonction de brouilleurs pour perturber les ondes cellulaires

UNE MÉTHODE RODÉE

Livraisons nocturnes

Les livraisons par drones se déroulent surtout au milieu de la nuit. Les gardiens sont alors moins nombreux et ceux qui sont de garde ont beaucoup plus de difficulté à les repérer. Les agents croient que les livraisons par drones qui sont répertoriées constituent la pointe de l'iceberg et que beaucoup d'autres sont effectuées sans que les autorités le sachent jamais. Il y aurait eu au moins deux livraisons par drones nocturnes connues depuis la fin de semaine dernière à Bordeaux.

Des colis de plus de 20 kg

Les drones se sont tellement améliorés que les livraisons se font maintenant directement devant les fenêtres des cellules ou des salles des établissements. Les objets sont généralement déposés dans un bas fixé au bout d'une corde attachée au drone. Le poids des colis peut atteindre plus de 20 kg, selon des agents. Ils peuvent contenir notamment des téléphones cellulaires, de la drogue, du tabac, des briquets, des outils, des messages importants codés ou chiffrés, etc.

Grillages détachés ou percés

À l'aide d'outils - qu'ils se font ironiquement livrer par drone -, les détenus trafiquent les fenêtres, c'est-à-dire qu'ils détachent ou percent les grillages de sécurité de façon à pouvoir sortir les mains ou le corps, pour saisir les colis livrés par des complices et les introduire dans l'établissement. Les paquets sont habituellement ouverts rapidement et leur contenu caché dans des endroits difficiles à trouver.

Faire diversion 

Une tactique relativement récente utilisée par les contrebandiers consiste à envoyer plusieurs drones à la fois dans la cour d'une prison ou d'un pénitencier. Le but est de créer du mouvement et du désordre parmi les détenus et les gardiens. De cette façon, les trafiquants augmentent leurs chances de voir un ou deux des paquets arriver à destination, tout en étant capables d'assumer les pertes, le cas échéant.

* Depuis 2013 et jusqu'au 13 juillet dernier, 227 événements impliquant des drones ont été signalés dans les 19 prisons du Québec, soit 210 observations, 15 saisies de drones et deux saisies de matériel relié à un drone. Les événements sont principalement survenus aux établissements Bordeaux, Rivière-des-Prairies et Saint-Jérôme.

Source : Ministère de la Sécurité publique du Québec